29/06/2017

Jn 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père »



Email: josleminhthong@gmail.com
Le 29 juin 2017

Contenu
I. Introduction
II. Le contexte et la structure
     1. Le contexte et la structure 13,33–14,31
     2. La structure 14,7-11 : connaître, voir et croire
III. « Voir Jésus » et « voir le Père »
     1. « Montre-nous le Père » (14,8a)
     2. L’identification et la différence entre Jésus et le Père
     3. L’impossibilité et la possibilité de « voir le Père »
IV. Conclusion



I. Introduction

Après avoir étudié le thème « voir » et « entendre » dans le Prologue du quatrième Évangile, dans l’article : « Jn 1,1-18 : “Voir” et “entendre” le Logos s’est fait chair », nous examinons dans cet article le thème « voir » dans la parole de Jésus en 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père », dit-il à Philippe. En fait, auparavant, au ch. 12, à la fin de sa mission, Jésus a déclaré en 12,45 : « Qui me voit voit celui qui m’a envoyé. » Comment s’articulent ces paroles à celles de Jésus parlant aux Juifs en 6,46 : « Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu le Père » et l’affirmation du narrateur en 1,18a : « Nul n’a jamais vu Dieu » ? L’homme peut-il voir Dieu, le Père ? Quel est la visée de la parole de Jésus en 14,9b ? Nous essayons de répondre à ces questions en situant la sentence 14,9b dans le contexte du discours d’adieux et dans la structure de l’unité 14,7-11, avant d’étudier « voir Jésus » et « voir le Père » dans le contexte immédiat de 14,9b et dans l’ensemble de l’Évangile.

II. Le contexte et la structure

Notre étude concerne la parole de Jésus adressée à Philippe en 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père ». Nous présentons d’abord (1) Le contexte et la structure la section 13,33–14,31, et ensuite (2) la structure de 14,7-11 autour de trois verbes : « connaître », « voir » et « croire ».

     1. Le contexte et la structure 13,33–14,31

L’affirmation de Jésus à l’encontre de Philippe en 14,9b appartient au « livre de l’Heure » (Jn 13–21) qui se divise en deux ensembles : les discours d’adieu (Ch. 13–17) et la Passion et la résurrection (Ch. 18–20). L’ensemble de Jn 13–17 peut se découper en quatre sections : (a) le lavement des pieds et l’annonce de la trahison (13,1-32) ; (b) le départ de Jésus et les promesses (13,33–14,31) ; (c) la communauté des disciples face au monde hostile et au départ de Jésus (ch. 15–16) et (d) l’ultime échange de Jésus avec son Père (ch. 17). La section 13,33–14,31 commence par l’annonce du départ de Jésus (13,33) et se termine par l’ordre donné par ce dernier : « Levez-vous, partons d’ici » (14,31c). Cette section peut se structurer selon le temps présent et futur, comme suit :


La section 13,33–14,31 est encadrée par l’annonce du départ de Jésus, au temps présent, au début (13,33), et à la fin (14,28-31). Le centre de la section en 14,6-11 contient deux révélations importantes de Jésus, au temps présent : l’unique chemin vers le Père (14,4-6), et « qui m’a vu a vu le Père » (14,9b), dit Jésus à Philippe. Les deux péricopes au futur en 13,36–14,1-3 et en 14,12-24 concernent, d’une part, le parcours de Pierre (suivre Jésus plus tard en 13,36-38) et la promesse des demeures dans la maison du Père (14,1-3), et d’autre part, la promesse de la venue du Paraclet (14,15-17.26) et de la demeure de Jésus et du Père pour celui qui aime Jésus et garde ses commandements (14,18-25).

     2. La structure 14,7-11 : connaître, voir et croire

La péricope 14,4-11 se divise en deux unités : 14,4-6 et 14,7-11. Cette division est basée sur le contenu thématique et non sur les paroles échangées entre les personnages. En effet, dans l’enchaînement du récit, d’abord, Jésus s’adresse aux disciples en 14,1-4 ; ensuite la question de Thomas en 14,5 est suivie par la réponse de Jésus en 14,6-7 ; puis Philippe pose à Jésus une autre question en 14,8, Jésus lui répond en 14,9-11 ; enfin, Jésus poursuit sa révélation par un monologue (14,12-31) jusqu’à la fin du ch. 14. Voici le passage (tiré de la Bible de Jérusalem, 2000) qui relate les questions de Thomas et de Philippe avec les réponses de Jésus en 14,5-11 :


Dans le contexte du récit, le passage 14,7-11 forme une unité thématique puisque après la réponse de Jésus à Thomas sur le chemin vers le Père (14,6), Jésus s’adresse aux disciples en leur incitant à le « connaître » et à le « voir » en 14,7. La dernière parole de Jésus, à la fin du verset 7 : « vous l’avez vu [le Père] » évoque la demande de Philippe en 14,8. La réponse de Jésus en 14,9-11 contient deux idées principales : (a) « Qui m’a vu a vu le Père » (14,9b), dit Jésus à Philippe ; et (b) l’insistance sur sa relation avec le Père par l’expression : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » en 14,10a.11a.

À la fin de l’unité 14,7-11, le texte marque une rupture par la formule solennelle de Jésus au début du v. 12 : « En vérité, en vérité (Amèn, amèn), je vous le dis… » (14,12a). Dans ce verset, Jésus passe du temps présent (14,9-11) à la promesse au futur en 14,12b.12c : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera (poièsei), lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera (poièsei) même de plus grandes, parce que je vais vers le Père. » Le futur des verbes continue dans la suite du récit jusqu’en 14,26. Ainsi l’unité 14,7-11 est bien délimitée, en même temps elle s’enchaîne avec ce qui suit, selon les thèmes communs : « croire » (pisteuô) en 14,10.11a.11b et en 14,12a ; « les œuvres » (erga) en 14,10.11 et en 14,12a.

L’unité 14,7-11 se structure autour des trois verbes : « connaître » (ginôskô), 4 fois en 14,7a.7b.7c.9 ; « voir » (horaô), 3 fois en 14,7.9a.9b ; et « croire » (pisteuô), 3 fois en 14,10.11a.11b. Notons qu’au lieu de demander de « voir » (horaô) le Père, Philippe utilise le verbe « deiknumi » (montrer) en 14,8 : « Seigneur, montre-nous (deixon hèmin) le Père et cela nous suffit » ; et Jésus reprend la demande de Philippe dans sa réponse en 14,19c : « Comment peux-tu dire : Montre-nous (deixon hèmin) le Père !? »



La structure 14,7-11 montre qu’il s’agit de « connaître », « voir » et « croire » des disciples sur la relation intime entre Jésus et le Père. En effet, ces trois verbes ont les disciples pour sujet et le contenu de la révélation en 14,7-11 concerne les disciples, Jésus et son Père. Jésus est identifié avec son Père en ce qui concerne « connaître » : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père » dit Jésus aux disciples en 14,7a, et « demeurer » : « le Père demeurant en moi… » (14,10c) est caractérisé par l’emploi du verbe « eimi » (être) et la préposition « en » (dans, en) en 14,10a.11a. Sur ce point, les paroles de Jésus se traduisent littéralement ainsi en 14,10a : « Moi dans le Père (egô en tôi patri) et le Père est en moi (kai ho patèr en emoi estin) » et en 14,11a : « Moi dans le Père (egô en tôi patri) et le Père en moi (kai ho patèr en emoi) ». Dans ces deux paroles, 3 fois, le verbe « eimi » (être) est sous-entendu. Jésus exprime ainsi le lien étroit de sa communion permanente avec le Père par des phrases sans verbe : « « Moi dans le Père » et « le Père en moi ».

Dans le langage biblique, le verbe « connaître » appartient au vocabulaire de l’Alliance. Il ne s’agit pas d’une connaissance purement intellectuelle. Ce verbe désigne une expérience de vie, une relation intime entre deux personnes, une relation d’amour entre Dieu et son peuple. La réponse de Jésus en 14,7 montre qu’on ne voit le Père que si on le connaît et on ne connaît le Père que si on connaît Jésus, l’envoyé du Père. Ainsi, le verbe « voir » en 14,7.9a.9b est inséparable des deux autres verbes : « connaître » et « croire ». C’est par la foi (cf. 14,10-11) que les disciples accèdent à la vraie connaissance et à la vue authentique de Jésus et de son Père. Ainsi, la révélation dans la parole « qui m’a vu a vu le Père » (14,9b) ne peut être interprétée que dans son contexte immédiat de 14,7-11 et dans l’ensemble de l’Évangile.

III. « Voir Jésus » et « voir le Père »

Ce n’est pas évident de « voir le Père » puisque Philippe n’a pas compris ce que Jésus a dit en 14,7. Nous éclairons la révélation en 14,9b en trois points : (1) « Montre-nous le Père » (14,8a) ; (2) l’indentification et la différence entre Jésus et le Père ; (3) l’impossibilité et la possibilité de « voir le Père ».

     1. « Montre-nous le Père » (14,8a)

En effet, la juxtaposition de l’expression « dès à présent » (kai ap’ arti) et le verbe « voir » (horaô) au temps parfait « eôrakate » en 14,7b : « Dès à présent vous le [le Père] connaissez et vous l’avez vu » renvoie à la présence de Jésus avec les disciples comme il le dit à Philippe en 14,9a : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? » Jésus affirme donc que dès à présent les disciples peuvent « voir le Père ». Cependant, cela n’est pas évident puisque les disciples ne le savent pas. Comme Nicodème, devant la révélation sur « voir le Père », le lecteur pourrait se poser la question : « Comment cela peut-il se faire ? » (3,9)

La même expression « montre-nous le Père » est à la fois demandée par Philippe (14,8a) et répondue par Jésus (14,9c). En effet, Philippe lui demande en 14,8 : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui répond en 14,19 : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père !?” ». Ainsi, la révélation en 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père » est encadrée par les deux questions adressées à Philippe en 14,9a et 14,9c. Cette structure met en relief la nouveauté inédite de la parole de Jésus en 14,9b : elle doit être dite par celui qui révèle, sinon, les disciples « voient Jésus » mais n’ont pas compris qu’ils ont vu le Père (cf. 14,7c).

Jésus interroge Philippe sur sa connaissance en 14,9a : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas (ouk egnôkas), Philippe ? » Le verbe « ginôskô » (connaître) ici est au parfait : « egnôkas » qui exprime le résultat actuel et durable d’une action. C’est-à-dire jusqu’au moment où Jésus parle, Philippe ne connaît pas vraiment Jésus ! Effectivement, pour « connaître » et « voir » réellement Jésus, il faut croire que Jésus est dans le Père et que le Père est en lui (cf. 14,10.11). Le glissement de « connaître » à « voir » en 14,7-9 permet de rapprocher ces deux verbes puisqu’on ne peut pas « voir » sans « connaître », c’est-à-dire « voir » authentique implique « connaître ».

Le parallèle d’argumentation entre 14,7a : « Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père » et 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père » montre que le mode de fonctionnement de « connaître » et de « voir » est le même : c’est seulement à partir de « connaître » et « voir » Jésus que les disciples accèdent à « connaître » et « voir » le Père et non l’inverse. En fait, la révélation en 14,9b exprime l’identification et la différence entre Jésus et son Père.

     2. L’identification et la différence entre Jésus et le Père

L’expression « qui m’a vu a vu le Père » (14,9b) n’est compréhensible qu’avec la similitude et la différence entre Jésus et son Père. En effet, l’Évangile met en relief d’abord la ressemblance exprimée par le statut de Jésus et la communion parfaite entre lui et son Père. Si le Père est Dieu, le Logos-Jésus est Dieu (1,1c). Jésus dit aux Juifs en 10,30 : « Moi et le Père nous sommes un » et il s’adresse à son Père en 17,11b : « Père saint, garde-les dans ton Nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous. » Ainsi « croire en Jésus » est « croire au Père » comme Jésus le déclare en 12,44 : « Qui croit en moi, ce n’est pas en moi qu’il croit, mais en celui qui m’a envoyé. » Jésus devient une véritable parabole du Père. Jésus et son Père sont présents dans tous les versets de l’unité 14,7-11 dans lesquels la relation interpersonnelle entre Jésus et son Père est exprimée par la préposition grecque « en » (dans, en), cf. 14,10a.11a et par les verbes : « connaître » (14,7), « voir » (14,9b) et « demeurer » (14, 10b), (cf. la structure 14,7-11 plus haut). La relation interpersonnelle entre Jésus et son Père est remarquable par la profondeur de son intimité, son égalité et son unité.

Ensuite, la ressemblance et l’identification entre Jésus et le Père n’aboutissent pas à une fusion, le Fils et le Père sont différents. « Voir Jésus » et « voir le Père » ne signifient pas formellement la même chose. Ces deux sujets de la vue ne sont pas identiques. La parole révélatrice de Jésus en 14,9b reste inexplicable pour Philippe. Il ne voit que Jésus et ne voit pas le Père de manière sensible. L’expression de 14,9b insiste donc sur la manière de « voir Jésus » et sur la communion entre lui et son Père (cf. 14,10.11) lesquelles maintiennent une distinction entre Jésus et son Père. La différence est exprimée dans la relation filiale (le Père et le Fils) et dans la mission (l’envoyeur et l’envoyé). La relation entre Jésus et son Père en 14,7-11 renvoie à la relation Père – Fils dans le Prologue, dans lequel le narrateur décrit l’identité de Jésus par les titres : le Logos (1,1.14a), l’Unique-Engendré (1,14d.18b), le Fils (1,18b) et Jésus Christ (1,17b). Au ch. 14, Jésus lui-même désigne le Père en utilisant le pronom possessif : « mon Père (ho patros mou) » (14,7a). Les pronoms personnels « je », « moi » de Jésus, en parlant aux disciples (« vous », « tu ») du Père, dans le contexte du discours d’adieu, distinguent bien le rôle de chacun des personnages (Jésus, le Père, les disciples). L’identification et la différence entre Jésus et le Père expriment donc l’unité de vie, d’amour, de connaissance et d’action ainsi que la spécificité de l’identité et la mission de Jésus. Mais comment peut-on passer de « voir Jésus » à « voir le Père » quand Jésus dit aux Juifs en 6,46a : « Non que personne ait vu le Père. »

     3. L’impossibilité et la possibilité de « voir le Père »

La parole de Jésus sur « voir le Père » (14,7b.9b) paraît incompatible avec la déclaration du narrateur en 1,18a : « Nul n’a jamais vu Dieu » et l’affirmation de Jésus aux Juifs en 6,46 : « Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu le Père. » En fait, l’unité littéraire 14,7-11 manifeste le style johannique. La parole du Révélateur est posée comme une énigme pour les auditeurs. Pour comprendre, ceux-ci doivent demander une explication dont le Révélateur, et lui seul, offre les paroles révélatrices. La parole de Jésus en 14,7c : « vous l’avez vu [le Père] » est elliptique. Elle suscite une question. Autrement dit, l’affirmation que les disciples ont vu le Père en 14,7b n’est compréhensible qu’avec la précision de Jésus en 14,9b : « Qui m’a vu a vu le Père. » La demande de Philippe à Jésus en 14,8 : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit » laisse entendre un désir profond de « voir Dieu » au cours de l’histoire. En utilisant le verbe « deiknumi » (montrer), Philippe attend une théophanie visible de Dieu, le Père. En tous cas, Philippe ne comprend pas la parole de Jésus en 14,7c : « Vous l’avez vu [le Père]. »

L’expression « Qui m’a vu (ho heôrakôs) a vu (heôraken) le Père » en 14,9b est en parallèle avec la déclaration de Jésus en 12,45 : « qui me voit (ho theôrôn) voit (theôrei) celui qui m’a envoyé. » Dans ces deux versets, cinq remarques méritent d’être signalées :

(1) le verset 12,45 appartient à la péricope de la déclaration de Jésus (12,44-50), à la fin du Livre des Signes (ch. 1–12). L’auditeur de Jésus n’est pas précisé dans cette péricope, Jésus s’adresse ainsi, en quelque sorte, au lecteur en 12,44-50. Dans cet épilogue de la première partie de l’Évangile, « voir le Père » devient possible puisque Jésus a transmis au monde la révélation tout au long de sa mission.

(2) La structure des deux sentences (12,45 et 14,9b) est la même : le premier verbe est au participe et le deuxième est à l’indicatif. La variante porte sur le verbe employé et l’aspect du  temps. En effet, en 12,45, deux fois le verbe « theôreô » (voir) est conjugué au temps présent (le participe présent : « ho theôrôn » et l’indicatif présent : theôrei). En 14,9b, deux fois le verbe « horaô » (voir) est au parfait : (le participe parfait : « ho heôrakôs » et l’indicatif parfait : heôraken).

(3) Le parallèle 12,45 // 14,9b montre que les verbes « theôreô » et « horaô » ici expriment à la fois la vue physique et la vue théologique. « Voir Jésus » physiquement dans ces deux versets implique le « connaître » et le « croire » en profondeur pour parvenir à « voir le Père » qui a envoyé Jésus. 

(4) En ce qui concerne le sujet de la vue, c’est « voir celui qui a envoyé Jésus » en 12,45 et « voir le Père » en 14,9b. Ces deux appellations désignent Dieu avec une visée différente : « celui qui a envoyé Jésus » met en relief l’autorité et la crédibilité de la mission de Jésus, tandis que l’appellation « le Père » place Jésus dans le statut de Fils qui est en communion parfaite avec son Père comme l’affirme le narrateur en 1,18b : « le Fils Unique-Engendré, qui est dans le sein du Père. »

(5) Comme la construction de 12,45, la première partie de la sentence en 14,9b : « qui m’a vu (ho heôrakôs eme) est le sujet du verbe et son complément : « a vu le Père » (heôraken ton patera) ». En effet, le participe « heôrakôs » est à nominatif qui a la valeur du nom désignant une personne : « heôrakôs » (qui-a-vu) [Jésus], ce participe est le sujet verbe : « heôraken » (a vu) [Le Père]. Cette construction met l’accent sur l’enchaînement du sujet du voir : « voir Jésus » est « voir le Père ».

La révélation de Jésus en 14,9b laisse entendre l’impossibilité de voir le Père, en fait. Prenons un exemple, A demande à B : « montre-moi Paris ». B répond : « Qui a vu Lyon a vu Paris ». C’est-à-dire, A n’a plus besoin de voir Paris ou en fait, A ne voit pas Paris. De cette manière la locution « qui m’a vu a vu le Père » (14,9b) exprime l’impossibilité de « voir le Père » face à face. En fait, Jésus ne fait pas voir le Père, au contraire, il affirme, de manière indirecte, que le Père est invisible, on ne peut pas le voir. De plus, l’impossibilité de « voir le Père » face à face est définitive parce que deux fois le verbe « voir » en 14,9b est au temps parfait (heôrakôs, heôraken) qui exprime le résultat actuel et durable d’une action passée. Ce temps parfait inclut donc « voir le Père » dans le « voir Jésus », c’est-à-dire le seul sujet de la vue est Jésus ; le temps parfait indique qu’il n’a personne d’autre à voir. Il est donc impossible pour les hommes de voir le Père en direct.

Cependant, la révélation de Jésus en 14,9b offre aux disciples une possibilité de « voir le Père » de manière particulière : « voir le Père » dans et par « voir Jésus ». Ainsi, pour les croyants « voir le Père » c’est à travers « voir Jésus ». Le défi pour les disciples c’est comment « voir Jésus » pour parvenir à « voir le Père » ; ceci est à différencier de « voir le Père » de Jésus.  Ce dernier voit le Père face à face comme il le dit aux Juifs 6,46 : « Non que personne ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu le Père. » Cette manière de « voir le Père » est réservée exclusivement à Jésus, « le Fils Unique-Engendré, qui est dans le sein du Père » (1,18b).

En résumé, la révélation de Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père » en 14,9b reste cohérente avec l’affirmation du narrateur dans le Prologue en 1,18a : « Nul n’a jamais vu Dieu » et celle de Jésus en 6,46a : « Non que personne ait vu le Père. » En fait, la parole de Jésus en 14,9b renforce l’invisibilité de Dieu et sa transcendance de manière définitive. « Voir Dieu » repose désormais sur « voir Jésus ». « Voir le Père » est donc radicalement purifié du caractère théophanique, miraculeux et spectaculaire. Les disciples ne voient que Jésus, tout comme auparavant. C’est dans la foi (cf. 14,10-11) que « voir le Père » se réalise au sens spirituel du terme.

IV. Conclusion

La théologie johannique sur le thème « voir Dieu » est originale dans l’articulation de trois affirmations :

(1) Les hommes ne peuvent pas voir Dieu : « Nul n’a jamais vu Dieu » (1,18a) affirme le narrateur. Cependant avec la venue du Fils Unique-Engendré, le Logos incarné, Jésus Christ, les hommes peuvent « connaître le Père » et « voir le Père » de manière particulière, néanmoins sa transcendance demeure absolue.

(2) Jésus est le seul qui voit le Père puisqu’il vient d’auprès de Dieu (6,46). C’est ainsi voir le Père de Jésus et celui des disciples ne se situent pas sur le même plan. « Voir le Père » de Jésus exprime son identité divine et sa communion parfaite avec le Père. Les expressions ayant la même construction en 14,9b, en 12,44.45 et en 14,7a présentent Jésus comme parabole du Père. Il est l’unique médiateur dans « faire connaître » (cf. 1,18c ; 14,7a) et « faire voir » le Père (cf. 14,7b.9b).

(3) « Voir le Père » des disciples est possible par l’intermédiaire de « voir Jésus ». La parole de Jésus 14,9b n’offre pas aux disciples une capacité de « voir Dieu » en direct. Au contraire, la tentation de voir Dieu face à face est absolument interdite. Cependant, le désir profond de l’homme de « voir Dieu » est désormais accordé à celui qui parvient à voir réellement Jésus, c’est-à-dire à croire en lui et à sa parole. C’est un « voir » lié étroitement à « croire », comme Jésus le dit à la foule en 6,40 : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit (theôrôn) le Fils et croit (pisteuôn) en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » La révélation de Jésus en 14,9b invite les disciples à approfondir leur relation et leur communion  avec Jésus et le Père.

Les verbes « voir » et « entendre » dans l’Évangile servent, entre autres, à élaborer le thème « témoignage » puisque Jean Baptiste, Jésus, le disciple qu’il aimait rendent témoignage sur ce qu’ils ont vu et entendu (cf. 1,32-34 ; 3,32 ; 19,35). Dans la suite, nous traitons le thème « voir » et « entendre » en lien avec le témoignage./.



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