05/10/2015

Jn 2,13-22: Jésus et le Temple de Jérusalem



Email: josleminhthong@gmail.com
Le 05 octobre 2015.

Contenu

I. Introduction
III. Délimitation, contexte et structure de Jn 2,13-22
     1. Délimitation
     2. Contexte  
     3. Structure
IV. Les champs lexicaux et le Temple de Jérusalem
     1. Les champs lexicaux de 2,13-22
     2. Le Temple de Jérusalem
     3. « Le temple », « la maison » et « le sanctuaire »
V. La maison de son Père (2,13-17)
     1. La Pâque des Juifs et la montée à Jérusalem (2,13)
     2. Chasser les vendeurs et les changeurs (2,14-15)
     3. « La maison de mon Père » et « une maison de commerce » (2,16)
VI. Le sanctuaire du corps (2,18-22)
     1. « Quel signe nous montres-tu… ? » (2,18)
     2. « Détruire » et « relever » le sanctuaire (2,19)
     3. L’interprétation du chiffre 46 (2,20a)
     4. Le malentendu et l’explication (2,20-21)
     5. « Ses disciples se rappelèrent que… » (2,22)
VII. Conclusion
      Bibliographie

  

I. Introduction

Dans cet article, les références aux auteurs sont abrégées. Le nom de l’auteur suivi d’un astérisque (*) renvoie à son commentaire de l’évangile de Jean. Pour un ouvrage ou un article nous ajoutons quelques mots du titre, en italique s’il s’agit d’un livre, entre guillemets s’il s’agit d’un article ou un extrait d’un ouvrage. La référence complète se trouve dans la bibliographie à la fin de l’article.

Il est souvent difficile de donner à une péricope un titre qui puisse exprimer son contenu. Plusieurs auteurs ont fait des remarques sur l’appellation de l’épisode 2,13-22. Selon Léon-Dufour*, I, 247 : « L’épisode raconté ne peut être réduit au fait divers qu’on intitule “L’expulsion des vendeurs du Temple” ou “la purification du Temple”. Maintenir ce titre chez Jn, ce serait méconnaître la différence entre le IVe évangile et la tradition synoptique dans l’interprétation de l’événement. » Cet auteur propose le titre « Jésus et le temple de Dieu (2,13-22 » (Léon-Dufour*, I, 246). Cependant le texte parle du Temple et du sanctuaire de Jérusalem et non pas du Temple de Dieu. Pour Simoens*, II, 159 : « “La purification du temple” ne convient pas comme titre pour cet épisode : ni le verbe ni le substantif de la racine “purifier” ne figurent dans le texte. » L’auteur intitule ce passage : « Le sanctuaire du corps (Jn 2, 13-25 » (Simoens*, II, 159), mais ce titre ne dit rien sur le fait que Jésus a chassé les commerçants du Temple (2,14-16).

En s’appuyant sur le terme signe (sèmeion) en 2,18, certains auteurs considèrent le récit 2,13-22 comme un signe : « le signe du Temple » ou « le signe du sanctuaire », par exemple Gourgues, « Le signe du Temple », 12, écrit : « Compte tenu de ces composantes du récit, la formule “le signe du Temple” ne serait-elle pas plus appropriée que l’appellation consacrée “la purification du Temple” ? D’une part, la deuxième partie (2,18-22) parle explicitement du signe du Temple, identifié au corps de Jésus. D’autre part, avons-nous vu, dans la première partie (2,14-17), Jésus accomplit au Temple une action qui prend valeur de “signe” - si l’on s’entend pour ne pas donner à ce terme la pleine signification qui est la sienne dans la théologie johannique. » Quant à Latour, il a donné à son livre le titre suivant : Le signe du sanctuaire. La péricope johannique l’expulsion des commerçants du Temple (Jean 2,13-22), et écrit à la p. 47 : « Les actions de Jésus sont considérées sur le mode de l’anamnèse, avec un recours à l’Écriture et, à cette condition, elles apparaissent comme signes sollicitant la foi. »

Dans la péricope 2,13-22, les Juifs demandent à Jésus de faire un « signe (sèmeion) » en 2,18, mais Jésus ne fait aucun signe spectaculaire. L’eau devenue bon vin à la noce de Cana (2,1-12) est « le commencement des signes » (2,11a), tandis que l’intervention de Jésus au Temple (2,14-16) et sa parole sur la destruction et le relèvement du sanctuaire (2,19) ne sont pas qualifiées de signe dans le texte. La péricope 2,13-22 n’est pas un signe au sens johannique du terme, voir l’article : « Le signe (sêmeion) dans l’Évangile de Jean » du 5 août 2014.

Le récit 2,13-22 contient deux unités : (1) En 2,13-17, Jésus ne veut pas que la maison de son Père devienne une maison de commerce, il chasse donc les vendeurs et les changeurs du parvis du Temple. (2) En 2,18-22, devant le sanctuaire de pierre, Jésus parle du sanctuaire de son corps. Ces deux unités ont un thème commun : la relation entre Jésus et le Temple de Jérusalem. D’une part, le Temple est la maison de son Père (2,13-17), d’autre part, ce sanctuaire en pierre symbolise le sanctuaire de son corps (2,18-22). Pour exprimer cette double relation, nous intitulons cette péricope : « Jésus et le Temple de Jérusalem » (2,13-22).

Les quatre évangiles rapportent l’épisode de l’expulsion des commerçants du Temple (Mc 11,15-17 ; Mt 21,12-13 ; Lc 19,45-46 ; Jn 2,13-17) avec des différences indéniables dans les détails. Les Synoptiques placent cet épisode après l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem à la fin de sa mission, tandis que l’évangile de Jean le met au début de sa mission, à l’occasion de la Pâque des Juifs (2,13). Certains auteurs considèrent que le quatrième évangéliste aurait intentionnellement déplacé cet épisode au début du ministère de Jésus. Ainsi la place de cet épisode dans les Synoptiques serait plus proche du fait historique. Nous ne sommes pas d’accord avec cette interprétation.

En réalité, les Synoptiques ne peuvent pas faire autrement, car d’après ces écrits Jésus ne monte qu’une seule fois à Jérusalem à la fin sa mission. Tandis que selon l’évangile de Jean, la mission publique de Jésus a duré au moins trois Pâques (2,13 ; 6,4 ; 11,55). Cela permet de dire que la vie publique de Jésus se déroule en trois ans. Selon l’évangile de Jean, Jésus monte plusieurs fois à Jérusalem pour les fêtes de pèlerinage annuelles. Nous rejoignons donc la conclusion de Schnackenburg*, The Gospel, I, 355 : « Du point de vue historique, il n’est pas facile de se décider pour les Synoptiques ou pour Jean. Chacun des narrateurs, y compris les auteurs synoptiques, suit sa propre ligne ; seul le fait lui-même, comme l’entrée dans la Jérusalem, n’est pas mis en question. » (“It is not easy to decide between the Synoptics and John on historical grounds. Each of the narrators, including the synoptic authors, follows his own line; only the fact itself, like the entry into the Jerusalem, is not open to question.”)

Dans cet article nous ne faisons pas la comparaison entre le récit de Jean et celui des Synoptiques, nous n’entrons pas non plus dans le débat sur l’historicité des faits. Nous concentrons notre analyse sur le texte dans la perspective johannique en essayant de répondre à ces questions : Comment l’évangile présente-t-il au lecteur la relation entre Jésus et le Temple de Jérusalem à travers les expressions : « maison de mon Père » (2,16b) et « le sanctuaire de son corps » (2,21) ? Comment les mémoires des disciples (2,17.22) aident-elles le lecteur à saisir le sens du récit ? Comment interprète-t-on la demande des Juifs (2,18) et la réponse de Jésus (2,19) dans le contexte de 2,13-22 et dans l’ensemble de l’évangile de Jean ? Le chiffre 46 ans renvoie-t-il à une date ? etc.

Nous commençons cette étude d’abord par la traduction littérale et les notes de la péricope 2,13-22. Ensuite nous observons sa délimitation, son contexte, sa structure, ses champs lexicaux et puis nous donnons quelques explications et illustrations sur le Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus et aujourd’hui. Enfin nous traitons les deux grandes unités du texte intitulées : « La maison de son Père » (2,13-17) et « le sanctuaire de son corps » (2,18-22).


III. Délimitation, contexte et structure de Jn 2,13-22

Pour préparer à la lecture du texte, nous abordons dans cette partie la délimitation, le contexte, la structure de la péricope 2,13-22.

     1. Délimitation

La délimitation de la péricope 2,13-22 se fait entre les vv. 12-13 et 22-23. Le v. 12 relate ce qui s’est passé après la noce de Cana. Jésus ainsi que sa mère, [ses] frères et ses disciples descendirent à Capharnaüm et « ils ne demeurèrent pas beaucoup de jours », le texte introduit ainsi le séjour et la mission de Jésus à Capharnaüm. Le v. 13 indique le déplacement de Jésus : « Et la Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem » (2,13). La scène racontée en 2,14-22 se passe donc aux parvis du Temple de Jérusalem où se trouvent les commerçants.

La rupture entre 2,22 et 2,23 est nette. La péricope 2,13-22 se termine par l’anamnèse et la foi des disciples après que Jésus « fut relevé d’entre les morts » (2,22a). Le verset suivant (2,23) résume les activités de Jésus pendant la fête de Pâque à Jérusalem : il fait des signes (pluriel) et « beaucoup crurent en son nom, en voyant les signes qu’il faisait » (2,23b). Le texte ne décrit pas ces signes ni les lieux. Ainsi, l’unité 2,23-25 est à la fois un récit sommaire des activités de Jésus à Jérusalem et un récit de transition qui introduit à la rencontre entre Jésus et Nicodème en 3,1-12, ce dernier est impressionné par les signes que Jésus a faits, il dit à Jésus en 3,2b : « Rabbi, nous le savons, tu viens de la part de Dieu comme un Maître : personne ne peut faire les signes que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui. » (Dans cet article, sauf Jn 1–2, nous citons la Bible de Jérusalem).

     2. Contexte  

Dans l’évangile de Jean, les gestes et les paroles de Jésus au Temple de Jérusalem (2,13-22) sont placés après le signe de l’eau devenue le bon vin à Cana (2,1-12) et avant le sommaire de l’activité de Jésus (2,23-25). Pendant le séjour de Jésus à Jérusalem, Nicodème l’a rencontré (3,1-2a). L’entretien entre Jésus et Nicodème (3,2b-12) débouche sur un monologue de Jésus (3,13-21), dans ce monologue, Jésus révèle son identité, sa mission ainsi que la disposition de l’homme face à l’envoyé de Dieu. Le premier séjour de Jésus à Jérusalem prend fin en 3,22, puisque ce verset indique un déplacement de Jésus et ses disciples au pays de Judée : « Après cela, Jésus vint avec ses disciples au pays de Judée et il y séjourna avec eux, et il baptisait » (3,22).

L’ensemble du ch. 2 forme donc un tout avec « un signe à Cana de Galilée » (2,1-12), « une intervention au parvis du Temple de Jérusalem » (2,13-22) et « un sommaire des activités de Jésus à Jérusalem » (2,23-25). Après le témoignage de Jean Baptiste (1,19-34) et le récit des premiers disciples de Jésus (1,35-51), l’ensemble du ch. 2 inaugure de manière solennelle la mission publique de Jésus. Comme nous avons montré le contexte et le lien entre les deux péricopes 2,1-12 et 2,13-22, dans l’article : « Jn 2,1-12: Le signe de l’eau devenue bon vin à la noce de Cana » du 14 septembre 2015, ces péricopes ont une valeur programmatique de l’ensemble de la mission de Jésus dans l’évangile.

En effet, le récit 2,13-22 a tracé l’itinéraire de la mission de Jésus par une parole d’Écriture : « Le zèle de ta maison me dévorera » (2,17b // Ps 69,10). Sa mission de faire connaître aux hommes la volonté de son Père va le conduire à la mort. Sa mort, voulue par ses adversaires est annoncée dans sa parole adressée aux Juifs : « Détruisez ce sanctuaire » (2,19a). En même temps Jésus annonce sa résurrection dans la deuxième partie de sa parole : « et en trois jours je le relèverai » (2,19b). Le fait que les disciples se souviennent après la résurrection de Jésus (2,22) montre que la péricope 2,13-22 introduit à l’ensemble de sa mission et que la véritable signification du texte n’est accessible qu’à la fin.

Le thème de la foi des disciples est mis en relief dans l’ensemble du ch. 2. Le narrateur conclut le signe de l’eau devenue bon vin en soulignant la foi des disciples : « Il [Jésus] manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (2,11b). Ce « croire en Jésus » au début de sa mission est mis en parallèle avec « croire à l’Écriture et à sa parole » (cf. 2,22c) après sa résurrection. Ainsi le ch. 2 annonce l’ensemble du parcours de la foi des disciples. D’une part, la foi naissante au début du ministère de Jésus s’achève par la plénitude de la foi après Pâques et, d’autre part, trois dimensions de la foi se complètent : « croire en Jésus », « croire à l’Écriture » et « croire à sa parole ».

En résumé, la péricope 2,13-22 a une place importante dans le programme narratif de l’évangile, ce récit inaugure la mission de Jésus et oriente le lecteur vers sa mort-résurrection à la fin de l’évangile.

     3. Structure

Il existe plusieurs propositions relatives à la structure de 2,13-22, mais la plupart d’entre elles s’accordent sur deux grandes unités : 2,13-17 et 2,18-22, chacune se termine par une anamnèse des disciples en 2,17.22 (cf. Zumstein*, I, 102 ; Gourgues, « Le signe du Temple », 11). Constatons que dans cette péricope, Jésus fait des gestes (2,14-15) et dit deux paroles (2,16 et 2,19). Pour mettre en valeur ces paroles importantes, nous proposons une structure parallèle : A, B, C, A’, B’, C’ comme suit : 


L’élément A. 2,13-15 inclut un verset d’introduction 2,13 qui indique la circonstance : « la Pâque des Juifs était proche » (2,13a), le personnage et le lieu : « Jésus monta à Jérusalem » (2,13b). Les gestes (2,14-15) sont en parallèle avec la question des Juifs (A’. 2,18). La parole de Jésus en B. 2,16 s’enchaîne avec ce qui précède. Jésus explique ses gestes et introduit les nouveaux thèmes : « maison de mon Père » et une « maison de commerce » (2,16b). Cet élément B est en parallèle avec B’. 2,19-21 lequel se concentre sur la parole de Jésus en 2,19 : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai ». Par cette parole Jésus introduit de nouveaux thèmes : « le sanctuaire », « détruire / relever », et « trois jours ». Les vv. 20-21 éclairent le sens de 2,19 par deux procédés littéraires : le malentendu des Juifs (2,20) et l’explication du narrateur (2,21).

Le parallèle entre les éléments C. 2,17 et C’. 2,22 est évident. Il s’agit de deux souvenirs des disciples, où l’expression : « Ses disciples se rappelèrent » apparaît 2 fois en 2,17a.22b. Le premier souvenir (2,17) est immédiat et le deuxième se situe après la résurrection de Jésus (2,22a). En particulier, l’anamnèse en 2,22 conduit les disciples à croire à l’Écriture et à la parole de Jésus (2,22c). Les disciples ne sont pas mentionnés dans le verset d’« introduction » (2,13), mais les vv. 17.22 montrent qu’ils sont avec Jésus, ils témoignent de ses gestes et de ses paroles. Ces anamnèses (2,17.22) sont des éléments importants pour comprendre le message du récit 2,13-22.

IV. Les champs lexicaux et le Temple de Jérusalem

Dans cette partie, nous observons (1) les champs lexicaux de la péricope 2,13-33, (2) le Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus et d’aujourd’hui, (3) l’usage des trois termes « le Temple », « la maison » et « le sanctuaire » dans cette péricope.

     1. Les champs lexicaux de 2,13-22

L’observation des champs lexicaux de 2,13-22 nous aide à articuler les thèmes. Nous indiquons selon l’ordre d’apparition dans le texte (1) les personnages ; (2) les 5 verbes exprimant les gestes de Jésus ; (3) les termes liés au commerce ; (4) les 4 verbes dans les 2 paroles de Jésus ; (5) les autres termes clés. Les mots désignant « le Temple » seront abordés par la suite.

(1) Les personnages :
- les Juifs (Ioudaioi), 3 fois : 2,13.18.20.
- Jésus (Ièsous), 3 fois : 2,13.19.22
- les vendeurs, (pôlountes), 2 fois : 2,14.16
- les changeurs, 2 fois : kermatistès, 2,14, kollubistès, 2,15
- le Père (patèr), 1 fois : 2,16
- les disciples (mathètai), 2 fois : 2,17.22

(2) Les 5 verbes exprimant les gestes de Jésus :
- trouver (heurskô) dans le Temple (2,14a)
- se faisant (poieô) un fouet de cordes (2,15a)
- chasser (ekballô) tous du Temple (2,15b)
- répandre (ekcheô) la monnaie (2,15c)
- renverser (anetrepsen) les tables (2,15d)

(3) Les termes liés au commerce :
- vendeur (poleô, participe de « vendre »), 2 fois : 2,14.16
- bœuf (bous), 2 fois : 2,14.15
- brebis (probaton), 2 fois : 2,14.15 (19 fois dans Jean)
- colombe (peristera), 2 fois : 2,14.16
- changeur 2 fois (kermatistès, 2,14 ; kollubistès, 2,15)
- monnaie (kerma), 1 fois : 2,15
- table (trapeza), 1 fois : 2,15

(4) Les 4 verbes dans les 2 paroles de Jésus :
      + Aux vendeurs de colombes :
- « Enlevez (arate, impératif) cela d’ici » (2,16b)
- « Ne faites pas (mè poieite, impératif)… » (2,16c)
      + Aux Juifs :
- « Détruisez (lusate, impératif) ce sanctuaire » (2,19b)
- « En trois jours je le relèverai (egerô, futur) » (2,19c)

(5) Les autres termes clés :
   + Les verbes
- faire (poieô), 3 fois, 2,15.16.18 (cf. aussi 2,5.11.23)
- dire (legô), 7 fois : 2,16.18.19.20.21.22a.22b
- enlever (airô), 1 fois : 2,16
- se rappeler (mimnèskomai), 2 fois : 2,17.22
- écrire (graphô), 1 fois : 2,17
- dévorer (katesthiô), 1 fois : 2,17
- détruire (luô), 1 fois : 2,19
- relever (egeirô), 3 fois : 2,19.20.22
- croire (pisteuô), 1 fois : 2,22
   + Les noms
- zèle (zèlos), 1 fois : 2,17
- signe (sèmeion), 1 fois : 2,18
- corps (sôma), 1 fois : 2,21
- Écriture (graphè), 1 fois : 2,22
- parole (logos), 1 fois : 2,22

     2. Le Temple de Jérusalem

L’expression « le Temple de Jérusalem » peut désigner soit l’ensemble du complexe architectural incluant les murs d’enceinte, soit l’édifice principal, le Temple proprement dit. Ce Temple est au centre d’une grande esplanade encadrée par les murs de soutènement. Selon Flavius Josèphe, Hérode le Grand a commencé un vaste chantier de reconstruction du Temple et d’élargissement de son esplanade vers l’an 20/19 av. JC. Les murs d’enceinte soutiennent une esplanade d’environ 144 mille mètres carrés. Ce grand parvis est entouré par les portiques. Au cours de la mission publique de Jésus, la construction du Temple n’est pas encore finie. Elle ne sera achevée qu’en l’an 62-64 ap. JC, juste quelques années avant la révolte des Juifs en l’an 66 et sa destruction en l’an 70 ap. JC par les légionnaires de Titus. Voici la maquette du Temple de Jérusalem au musée d’Israël à Jérusalem, vue de l’est :





L’ensemble du complexe architectural est divisé en plusieurs parties : (1) Au centre se trouve le bâtiment du Temple, on l’appelle aussi le sanctuaire, la maison ou la demeure de Dieu. Cet édifice contient trois éléments : le vestibule, le lieu saint et le lieu très saint. (2) Devant ce bâtiment se trouve l’autel des sacrifices. (3) L’ensemble de l’espace sacré est divisé en plusieurs parvis : le parvis le plus proche du sanctuaire est le parvis des prêtres, puis le parvis d’Israël et le parvis des femmes. Le reste de l’esplanade est le parvis des païens. Voir le schéma du Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus de la TOB :


Dans la BiJer, le plan du Temple de Jérusalem à l’époque de Jésus indique l’altitude géographique. Le Temple est à 760 m au-dessus du niveau de la mer, et le fond de la vallée du Cédron est à 680 m.  :


Le plan proposé par D. Bahat, « Jesus and the Herodian Temple », 301, indique la limite de l’esplanade avant la reconstruction d’Hérode le Grand :


Jeremias, Jérusalem, 39, énumère les constructions d’Hérode le Grand : « Voici les nouveautés : surélévation du bâtiment du Sanctuaire de 60 à 100 coudées [une coudée commune = 45 cm ; une coudée ancienne = 52,5 cm] ; restauration du parvis sacré intérieur ; construction d’une grande porte entre le parvis des femmes et celui des Israélites ; extension du parvis extérieur vers le Sud et vers le Nord, grâce à de gigantesques soubassements ; décoration par les portiques courant tout autour de l’esplanade du Temple. »

La photo ci-dessus, vue du sud-ouest, montre les murs d’enceintes et l’esplanade aujourd’hui, avec les deux mosquées : (1) le Dôme du Rocher avec la coupole dorée et (2) la mosquée al-Aqsa au sud de l’esplanade.


L’angle sud-ouest des murs de soutènement aujourd’hui :


Une grande partie des murs d’enceinte est construite par Hérode le Grand. Voir les propositions sur les dates et le temps de reconstruction du Temple au point VI.3. « L’interprétation du chiffre 46 en 2,20a » ci-dessous.

     3. « Le temple », « la maison » et « le sanctuaire »

Il y a dans le récit 2,13-22 trois termes qui désignent la même réalité : (1) le temple, hieron, 2 fois : 2,14.15 ; (2) la maison, oikos, 3 fois : 2,16a.16b.17 et (3) le sanctuaire, naos, 3 fois : 2,19.20.21, voir la note [6] de la traduction. Ces termes désignent-ils un lieu particulier ou l’ensemble du Temple ?

Dans l’épisode 2,13-22, le terme « hieron » (temple) apparaît en 2 occurrences dans les expressions : « il [Jésus] trouva dans le Temple (hierô) les vendeurs… » (2,14a) et « il les chassa tous du Temple (hierou) » (2,15b). Le « hieron » ici désigne donc l’esplanade du Temple, puisque les commerçants se trouvent sur l’esplanade du Temple et non pas « dans le Temple » au sens strict. Pour le terme « oikos » (maison), Jésus dit aux vendeurs de colombes en 2,16 : « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » Jésus considère que l’esplanade appartient aussi à « la maison de son Père ». Ainsi « la maison » désigne le Temple proprement dit et inclut l’esplanade du Temple. En 2,19, Jésus parle aux Juifs de « naos » (sanctuaire) : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » La réponse des Juifs en 2,20 : « Ce sanctuaire a été construit en quarante-six ans, et toi, en trois jours tu le relèveras ? » montre que le terme « naos » désigne l’ensemble du complexe architectural du Temple et non pas seulement le sanctuaire proprement dit. Une question se pose : pourquoi ces trois termes apparaissent-ils dans quelques versets de la péricope 2,13-22 ? Y a-t-il une nuance de sens entre ces termes ? Nous faisons une brève observation de leur usage dans la Bible.

Le terme « naos » (sanctuaire) dans la Septante (LXX) sert à traduire le terme hébreu « heal » (la demeure de Dieu) de la Bible hébraïque. Les expressions « maison de Dieu » en hébreu « be elohīm », en grec « oikos tou theou » ou « maison du Seigneur » en hébreu « be aonay », en grec « oikos tou kuriou » sont familières dans la Bible pour désigner le Temple de Jérusalem. Dans les livres de la Septante traduits du texte hébraïque, le terme « hieron » (temple) désigne un temple païen. Tandis que dans les livres de la Bible écrits en grec, le terme « hieron » désigne soit le Temple de Jérusalem, soit un temple païen. (Cf. Latour, Le signe du sanctuaire, 35). En tout cas, les trois termes : « naos » (sanctuaire), « oikos » (maison) et « hieron » (temple) désignent soit le bâtiment principal du Temple soit l’ensemble du complexe architectural du Temple. C’est le contexte du récit qui permet de déterminer le sens de ces termes.

En Jn 2,13-22, le terme « temple » a le sens de l’ensemble du complexe architectural, tandis que le terme « maison » et « sanctuaire » vise naturellement l’édifice au centre de l’esplanade. Cependant, les autres parties du Temple (les parvis et les murs d’enceinte) n’existent que pour donner l’accès à « la maison de Dieu » ou « le sanctuaire ». Dans cette perspective le trafic sur l’esplanade a transformé « la maison de Dieu » en « maison de commerce ».

V. La maison de son Père (2,13-17)

Nous intitulons la première unité du texte (2,13-17) « la maison de son Père » pour exprimer la relation entre Jésus et le Temple de Jérusalem. Jésus se situe comme Fils et agit pour la maison de son Père. C’est la raison pour laquelle il a chassé les commerçants du Temple.

     1. La Pâque des Juifs et la montée à Jérusalem (2,13)

Le premier verset (2,13) introduit au récit en signalant la circonstance, le personnage principal et le lieu : « la Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem » (2,13). L’expression « la Pâque des Juifs était proche » est mentionnée 3 fois dans l’évangile de Jean (2,13 ; 6,4 ; 11,55), la mission publique de Jésus a donc duré au moins trois ans. Les mentions de « la Pâque des Juifs », sont mises en relation avec la mort et la résurrection de Jésus (2,13 // 2,19-22 ; 6,4 // 6,51-58 ; 11,55 // 18–20).

Durant sa mission publique, Jésus est monté plusieurs fois à Jérusalem. L’expression « Jésus monta à Jérusalem » (2,13b) se retrouve encore en 5,1 : « Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. » Selon l’évangile de Jean, les activités de Jésus se passaient principalement à Jérusalem : 2,13–3,21 (la première Pâque des Juifs); 5,1-47 (la fête des Juifs) ; 7,1–10,21 (la fête des Tentes) ; 10,22-39 (la fête de la Dédicace à Jérusalem) et 12,12–20,29 (la dernière Pâque, la mort et la résurrection à Jérusalem).

L’expression « monter à Jérusalem » exprime la montée vers Jérusalem parce que le Temple est à 760 m au-dessus du niveau de la mer, en même temps, le verbe « monter » a un sens liturgique. Les Psaumes 120-134 sont appelés « les Cantiques des montées ». Le Juif pieux cherche à faire sa montée à Jérusalem au moins une fois dans sa vie. Cette montée à Jérusalem symbolise la montée vers le Seigneur. Dans cette perspective Jésus monte à Jérusalem à l’occasion de la Pâque, il entre dans le Temple qu’il qualifie « la maison de mon Père » (2,16c).  

     2. Chasser les vendeurs et les changeurs (2,14-15)

En 2,14-15, l’expulsion des commerçants est décrite avec soin. Le v. 14 présente les vendeurs de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs de monnaie. Le texte ne le précise pas mais il est probable que ces commerces se trouvent sur le parvis des païens ou sous les portiques. Les gestes de Jésus sont sans ambigüité : « Se faisant un fouet de cordes, il les chassa tous du Temple » (2,15a) sans exception. La suite du texte précise qu’« il répandit la monnaie des changeurs et renversa les tables » (2,15b). En 2,16 Jésus dit aux vendeurs de colombes une parole révélatrice que nous traitons plus tard.

Les activités de commerce sur l’esplanade du Temple servent aux besoins des pèlerins qui ne pouvaient pas amener avec eux les animaux pour offrir des sacrifices. Selon les prescriptions dans le livre du Lévitique, l’offrande de gros bétail est un taureau (moschos, LXX) (Lv 1,3-5 ; 4,14.32.35) ; l’offrande de petit bétail est une brebis (probaton) (Lv 1,10 ; 4,32.35) ou un agneau (arèn en Lv 1,10, cf. Lc 10,3, amnos en Lv 12,8, cf. Jn 1,29.36). Les colombes sont les offrandes des pauvres (Lv 12,8, cf. Lc 2,24). Pour acheter l’offrande, les pèlerins venus du monde entier (l’Empire romain de l’époque) doivent d’abord changer leurs monnaies. Parce que les monnaies romaines ou syriennes qui comportaient des effigies humaines étaient interdites par la Loi. Les achats pour les offrandes devaient être réglés en ancienne monnaie tyrienne. Ainsi, dans le contexte de la Pâque (Jn 2,13), le commerce sur le parvis du Temple répond à une grande affluence de pèlerins. Selon Jeremias, Jérusalem, 123, le nombre de pèlerins pour la Pâque tournait autour de 100 000 personnes, sans compter environ 25 à 30 000 habitants de Jérusalem. Si la présence des vendeurs et des changeurs était nécessaire aux pèlerins, pourquoi Jésus les a chassés du Temple ?

Est-ce que Jésus voulait mettre fin au culte sacrificiel du judaïsme comme l’exprime l’interprétation de Léon-Dufour* I, 255 : « Selon Jn, l’Agneau de Dieu ne met pas seulement de l’ordre dans le Temple, il manifeste que, du fait de sa présence, les rites sacrificiels sont périmés. En outre, puisque l’évangéliste va bientôt identifier le Temple et le corps de Jésus, le passage d’un ordre cultuel à un ordre personnel pourrait être symbolisé en ce récit. Désormais, ce n’est pas par les sacrifices prescrits par la Loi que va s’opérer la réconciliation d’Israël, mais par le don que Jésus fait de lui-même. » Cependant, Marchadour*, 2011, 93, écarte cette interprétation : « La vente d’animaux pour les sacrifices était une nécessité. À moins d’imaginer une contestation radicale du culte par Jésus… mais l’ensemble de l’évangile ne va pas dans ce sens. » Selon nous, le texte ne met pas en cause le culte sacrificiel, le problème se trouve ailleurs. Jésus lui-même explique ce qu’il a fait en 2,16.

     3. « La maison de mon Père » et « une maison de commerce » (2,16)

La parole de Jésus adressée aux vendeurs de colombes en 2,16 : « Enlevez cela d’ici. Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce » est importante pour interpréter les gestes de Jésus en 2,14-15. Notons qu’à la noce de Cana, Jésus a parlé à sa mère (2,4) et aux serviteurs (2,7.8) dans le  cadre d’une noce se passant à Cana, mais en 2,16 c’est la première parole de Jésus en public et au Temple de Jérusalem. Cette parole révélatrice exprime son rapport avec le Temple et sa mission d’établir une vraie relation entre Israël et Dieu, son Père.

Jésus a chassé les commerçants du Temple parce ce trafic a transformé « la maison de son Père » en une « maison de commerce » (2,16). Jésus ne s’oppose pas au culte sacrificiel en tant que tel, il dit « enlevez cela d’ici », c’est-à-dire « ce n’est pas ici » le lieu du commerce, sous-entendu on peut le faire ailleurs. Ce que Jésus dénonce est une relation malsaine entre l’homme et Dieu. Au lieu de faire du Temple un lieu de rencontre avec Dieu et d’écoute de sa parole, il devient un lieu d’échange et de trafic. Le risque de déformer un lieu de culte en un lieu d’échange commercial (dans tous les sens du terme) est présent dans toutes les institutions religieuses. Par ses gestes et sa parole, Jésus agit en faveur d’une vraie attitude de son peuple envers Dieu. Jésus rétablit la disposition indispensable du peuple pour qu’il puisse accueillir l’enseignement de Jésus au cours de sa mission.

De plus, Jésus ne dénonce pas seulement l’attitude commerciale dans la relation à Dieu, mais il révèle aussi son identité à travers sa relation avec Dieu, son Père. Face au Temple de Jérusalem, la maison de Dieu dans la tradition vétérotestamentaire, Jésus affirme que ce Temple est « la maison de son Père ». C’est-à-dire que le Dieu d’Israël est le Père de Jésus et que ce dernier se présente donc comme son Fils. Cette révélation de son statut au début de sa mission a été dite dans le Prologue en 1,18 : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; Fils-unique Dieu qui est dans le sein du Père, celui-là a raconté. » Dès sa première apparition en public à Jérusalem, Jésus manifeste son identité en tant que Fils du Père et il exprime son zèle pour la maison de son Père, il restaure une relation authentique entre l’homme et Dieu. C’est dans ce sens que les disciples interprètent les gestes de Jésus en 2,17.

     4. « Ses disciples se rappelèrent que… » (2,17)

Les anamnèses des disciples (C. 2,17 // C’. 2,22) qui terminent les unités du texte (A.B. 2,13-16 // A’.B’. 2,18-21) sont des éléments importants pour comprendre le message du récit. Nous trouvons 2 fois l’expression : « ses disciples se rappelèrent que… (emnésthèsan hoi mathètai autou hoti…) » en 2,17a.22b. Il s’agit d’un souvenir immédiat (2,17) et d’un souvenir après la résurrection de Jésus (2,22). Ces deux anamnèses décrivent le parcours de la compréhension des disciples : d’abord la compréhension des gestes et la parole de Jésus grâce à une parole de l’Écriture, et ensuite la compréhension après Pâques grâce à l’enseignement du Paraclet (14,26). Cette deuxième anamnèse les conduit à croire à l’Écriture et à la parole de Jésus (2,22c).

Dans le contexte de 2,17, les disciples ont cru en Jésus à la fin de la péricope précédente (2,11c). C’est en témoignant des gestes et de la parole de Jésus (2,14-16) dans l’attitude de la foi (2,11c) que « Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : “Le zèle de ta maison me dévorera” », relate le narrateur. Notons que ce verset permet au lecteur de savoir que les disciples montent aussi à Jérusalem avec Jésus. Puisque dans la première partie du texte (2,13-16), le narrateur met en relief l’action et la parole de Jésus, les disciples ne sont pas mentionnés au début du récit (2,13). En fait, les disciples sont les témoins de toutes les actions et les paroles de Jésus en 2,1-12 et 2,13-22, et par 5 fois ils sont mentionnés en 2,2.11.12.17.22.

La phrase en italique « Le zèle de ta maison me dévorera » en 2,17b est la citation du Ps 69,10a avec une modification. Dans le Ps 69,10a (LXX), le verbe « dévorer » (katesthiô) est conjugué à l’indicatif aoriste : « Le zèle de ta maison m’a dévoré (katephagen). » Ce verbe à l’aoriste du Ps 69,10a est conjugué au futur dans la citation en Jn 2,17b. Ce changement s’applique plus tard au destin de Jésus (voir la note [2] dans la traduction).

Le terme « zèle » (zélos) définit bien les gestes et les paroles de Jésus dans la péricope 2,13-22. Le zèle est une « vive ardeur à servir la cause de Dieu et la religion » (Dictionnaire Le Petit Robert). Le zèle de Jésus est un dévouement brûlant pour la maison de son Père. La conséquence de ce zèle est la « consumation » du sujet. Le zèle pour la maison de son Père maintenant dévorera Jésus plus tard. Le verbe « dévorer » a le sens métaphorique d’« être consumé par » qui implique la notion de destruction (2,19), c’est-à-dire que ce zèle de Jésus peut aller jusqu’à lui enlever la vie. Le geste de Jésus aujourd’hui annonce déjà son destin tragique à la fin de l’évangile. La mémoire des disciples en 2,17 a donc une valeur prophétique. Cette interprétation sera développée par Jésus lui-même dans le couple de verbes : « détruire » et « relever » en 2,19.

VI. Le sanctuaire du corps (2,18-22)

Nous intitulons la deuxième unité (2,18-22) « le sanctuaire du corps » parce que la clé interprétative de cette unité se trouve dans l’explication du narrateur en 2,21 : « celui-ci [Jésus] parlait du sanctuaire de son corps ». Nous traitons dans cette partie cinq points selon le déroulement du texte : (1) La question des Juifs (2,18) ; (2) La réponse de Jésus (2,19) ; (3) L’interprétation du chiffre 46 (2,20a) ; (4) Le malentendu des Juifs et l’explication du narrateur (2,20-21) ; (5) L’anamnèse postpascale des disciples (2,22).

     1. « Quel signe nous montres-tu… ? » (2,18)

En 1,19, ce sont « les Juifs » (hoi Ioudaioi) qui ont envoyé les prêtres et les lévites pour interroger Jean Baptiste, mais c’est en 2,18 que pour la première fois dans l’évangile, le groupe de personnages « les Juifs » (hoi Ioudaioi) parle directement à Jésus. Devant l’action de Jésus en 2,15-16, les Juifs l’interrogent en 2,18 : « Quel signe nous montres-tu pour faire cela ? » Le terme « signe » (sèmeion) est apparu dans ce verset pour la deuxième fois dans l’évangile. La première fois se trouve à la fin de la péricope précédente en 2,11a : « Tel est le commencement des signes (sèmeiôn) que fait Jésus à Cana de Galilée ». Le lecteur comprend naturellement que les Juifs demandent à Jésus de faire un signe spectaculaire comme le signe de l’eau devenue bon vin à Cana. La suite du texte montre que Jésus ne leur accorde aucune action prodigieuse qui peut être qualifiée de signe. Comme nous l’avons dit dans l’introduction de cet article, les gestes et les paroles de Jésus dans la péricope 2,13-22 ne peuvent pas être considérés comme un signe johannique.

D’un point de vue de la grammaire grecque, la phrase : « Quel signe nous montres-tu pour faire cela ? (« ti sèmeion deiknueis hèmin hoti tauta poieis ? ») en 2,18 peut être traduite de trois manières : (1) « Quel signe nous montres-tu pour faire cela ? » (hoti introduit une proposition consécutive). (2) « Quel signe nous montres-tu que tu fais cela ? » (hoti introduit une subordonnée complétive). (3) « Quel signe nous montres-tu puisque tu fais cela ? » (hoti introduit une proposition causale). Voir la nuance de sens de ces trois phrases dans la note [4] de la traduction. Nous optons pour la traduction numéro (1) parce qu’elle correspond mieux au contexte. Les Juifs pourraient demander à Jésus de faire un signe prodigieux pour légitimer son action. La question des Juifs vise donc l’autorité de Jésus. (Cf. Latour, Le signe du sanctuaire, 25-26). Sans répondre favorablement à la demande des Juifs, Jésus leur répond par une parole énigmatique.

     2. « Détruire » et « relever » le sanctuaire (2,19)

À la demande des Juifs (2,18), Jésus leur répond en 2,19 : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai. » Le terme « sanctuaire » apparaît pour la première fois dans cette péricope. Nous avons présenté plus haut l’usage de trois termes : « le temple », « la maison » et « le sanctuaire ». Ces termes  désignent « le Temple de Jérusalem » soit dans le sens large (le Temple et son esplanade), soit dans le sens strict (le Temple lui-même).

Dans le contexte immédiat, Jésus se trouve sur le parvis du Temple, le mot « sanctuaire » (naos) qu’il utilise désigne naturellement l’édifice principal du Temple avec le vestibule, le lieu saint et le lieu très saint (voir les plans et photos plus haut). Dans le premier volet de la parole de Jésus : « Détruisez ce sanctuaire », il désigne clairement l’objet par un adjectif démonstratif « ce » : « ce sanctuaire (ton naon touton) ». La réponse des Juifs dans le verset suivant (2,20) interprète « ce sanctuaire » dans le sens de sanctuaire en pierre. Cependant, dans le deuxième volet de sa parole, l’expression : « en trois jours je le relèverai » permet au lecteur d’envisager que Jésus parle d’un autre sanctuaire lequel le narrateur le précisera en 2,21, c’est le sanctuaire du corps. Le pronom personnel « le » dans la phrase « je le relèverai » remplace le terme « sanctuaire », c’est-à-dire que Jésus parle d’un seul sanctuaire et non pas deux. Ainsi, le terme « sanctuaire » dans la parole de Jésus est ambigu : de quel sanctuaire s’agit-il ? Nous retrouvons ici un procédé littéraire propre à l’évangile de Jean qui provoque le malentendu chez les interlocuteurs.

Dans la première partie de la phrase : « Détruisez ce sanctuaire », la destruction du sanctuaire sera l’œuvre des Juifs. C’est un impératif ironique parce que Jésus demande aux Juifs de détruire ce sanctuaire, cette parole énigmatique est une allusion encore voilée à sa mort. Dans la deuxième partie de la phrase : « et en trois jours je le relèverai », il y a deux éléments qui renvoient  à la résurrection de Jésus : (1) l’expression « en trois jours » évoque la résurrection de Jésus au troisième jour (cf. 1 Co 15,4). Dans la tradition synoptique, Jésus lui-même annonce sa résurrection après trois jours ; il dit à ses disciples en Mc 8,31 : « Le Fils de l'homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter. » (2) Le verbe « relever » (egeirô) exprime la résurrection de Jésus. Le narrateur confirme ce sens dans l’expression en 2,22a : « lorsqu’il [Jésus] fut relevé (ègerthè) d’entre les morts », voir la note [7] dans la traduction.

Pour le lecteur, Jésus parle de sa résurrection dans l’expression : « Je le relèverai ». Est-ce qu’on peut dire que Jésus est l’auteur de sa propre résurrection ? Tandis que dans les autres textes du NT, c’est le Père qui a ressuscité Jésus. Souvent la résurrection de Jésus est présentée sous forme passive comme en 2,22a : « Il fut relevé (ègerthè) », on appelle ici le passif divin qui se réfère à l’action et l’initiative de Dieu. Nous pensons que les déclarations de Jésus en 2,19b : « Je le relèverai » ainsi qu’en 10,18 : « Personne ne me l’enlève ; mais je la dépose de moi-même. J’ai pouvoir de la déposer et j’ai pouvoir de la reprendre ; tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père » doivent être interprétées dans la perspective de la théologie johannique.

Selon le quatrième évangile, il existe une unité d’action entre Jésus et son Père. Jésus ne fait rien de lui-même, il dit aux Juifs en 8,24b : « Je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné ». Jésus fait la volonté du Père comme il le dit à la foule en 6,38 : « Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. » Jésus déclare ainsi à la fin de sa mission publique : « Ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé, mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-même commandé que dire et de quoi parler. » Il dit encore à ses disciples en 14,10b : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres ». De plus, il existe une communion parfaite entre Jésus et son Père : il est dans le Père et le Père en lui (14,10-11) ainsi qu’une unité parfaite entre eux, puisque Jésus dit aux Juifs en 10,30 : « Moi et le Père nous sommes un » et il dit à son Père en 17,22b : « pour qu’ils [ses disciples] soient un comme nous sommes un. » Ainsi la parole de Jésus en 2,19b : « Je le relèverai » exprime-t-elle son pouvoir de reprendre sa vie (10,18d) et manifeste-t-elle donc son autorité, sa souveraineté aussi que l’unité d’action et de parole entre lui et son Père.

Est-ce qu’on peut dire que la parole de Jésus en 2,19 vise à remplacer « le sanctuaire de pierre » par « le sanctuaire du corps » ? Le texte ne se prononce pas sur ce sujet. Ce qui est évident dans le texte est que Jésus défend le culte du Temple de pierre qu’il appelle « la maison de mon Père ». Dans ce contexte, Jésus parle de son destin en utilisant le terme « sanctuaire ». Le sanctuaire de son corps va être détruit par les Juifs (2,19.21). Dans le texte, Jésus ne parle pas d’un remplacement du Temple, il n’abolit pas non plus le culte sacrificiel du Temple. La fonction du Temple dans la tradition vétéro-testamentaire gardait sa valeur. Jésus est venu pour établir une véritable fonction du Temple : lieu de prière, de rencontre, de communion avec Dieu et non pas lieu d’échange commercial (2,16), ainsi Jésus prépare le cœur du peuple d’Israël pour qu’il puisse accueillir sa révélation. À travers l’attitude des disciples dans le récit, le lecteur sait que désormais c’est par la foi en Jésus que l’homme entre dans la communion avec Dieu, le Père. Selon la théologie johannique, faire la volonté de Dieu équivaut à croire en son Fils Jésus comme celui-ci le dit à la foule en 6,40 : « Telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. » Pour les disciples après Pâques, Jésus est le sanctuaire, le lieu de rencontre et de communion avec lui et avec le Père.

Notons que l’évangile de Jean est publié après la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 ap. JC. Le sanctuaire de pierre n’est plus là. Une grande question se pose : Où est le « lieu » de la « Présence » de Dieu ? Pour répondre à cette question cruciale, le Judaïsme de l’époque a reconnu que le lieu de la Présence de Dieu se trouve dans le don de la Loi. La rencontre avec Dieu se fait dans l’étude de la Loi et dans la prière. Pour les disciples de Jésus, la réponse se trouve dans l’enseignement de Jésus lui-même. D’abord l’adoration du Père n’est pas limitée par un lieu géographique. Jésus dit à la femme samaritaine en 4,23a : « L’heure vient – et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l’esprit et la vérité. » Ensuite, avant d’entrer dans la passion, Jésus promet aux disciples d’envoyer le Paraclet (14,15-16) qui demeure avec eux pour toujours (14,15-16), les enseigne (14,25-26) et les guide dans la vérité tout entière (16,13). Jésus promet aux disciples sa présence permanente dans chaque disciple et dans chaque communauté croyante en leur disant en 14,18 : « Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous » et en 16,22b : « Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, nul ne vous l’enlèvera ». Désormais, c’est avec la présence de Jésus ressuscité et le guide du Paraclet que la communauté croyante se rassemble pour prier, partager, célébrer sa mémoire et communier avec Jésus et le Père.

En résumé, les deux parties de la phrase : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (2,19) ont un double sens : détruire ce sanctuaire de pierre ou détruire ce sanctuaire du corps ; relever ce sanctuaire de pierre ou relever ce sanctuaire du corps. C’est ainsi que la parole de Jésus  évoque un malentendu chez les Juifs en 2,20.

     3. L’interprétation du chiffre 46 (2,20a)

En 2,20, les Juifs croyaient que Jésus parlait du sanctuaire de pierre, ils lui disent : « Ce sanctuaire a été construit en quarante-six ans (tesserakonta kai ex etesin, datif), et toi, en trois jours (en trisin hèmerais, datif) tu le relèveras ? » Cette phrase met en parallèle « 46 ans » et « 3 jours ». Il s’agit d’une comparaison du temps de construction d’un édifice. Selon les Juifs, on a besoin de 46 ans pour construire ce sanctuaire dans son ensemble et Jésus n’a besoin que 3 jours pour le relever. Le texte grec de 2,20 ne précise pas la date d’achèvement de la construction du Temple. D’où viennent les interprétations différentes du chiffre 46 ans. Nous présentons trois explications de ce chiffre : (1) « Ce sanctuaire a été construit il y a quarante-six ans » ; (2) « Ce sanctuaire a été construit depuis quarante-six ans » ; (3) L’interprétation symbolique du chiffre 46 chez saint Augustin.

(1) La première interprétation de 2,20 est « Ce sanctuaire a été construit il y a quarante-six ans. » C’est-à-dire qu’au moment où parlaient les Juifs, le sanctuaire avait été achevé il y a 46 ans. Les 46 ans sont donc comptés à partir de l’achèvement de la reconstruction du Temple et non pas au commencement des travaux. Cette interprétation est basée sur les textes de Flavius Josèphe qui disent que la reconstruction du Temple est achevée après 8-9 ans de travaux.

Pour la date de reconstruction du Temple de Jérusalem, Flavius Josèphe évoque deux dates : la 18ème année et la 15ème année du règne d’Hérode le Grand. Voici ce qu’écrit Josèphe : (a) La 18ème année en AJ XV,380 : « À ce moment, dans la dix-huitième année de son règne, après avoir fait tout ce qui précède, Hérode aborda une entreprise considérable, la reconstruction du Temple de Dieu. Il voulait agrandir l'enceinte et augmenter la hauteur de l'édifice pour le rendre plus imposant ; il pensait, avec raison, que cette œuvre serait la plus remarquable de toutes celles auxquelles il aurait travaillé et qu'elle suffirait pour lui assurer une éternelle gloire. » (b) La 15ème année en BJ I,401 : « Ce fut donc dans la quinzième année de son règne qu’il fit rebâtir le Temple et renouveler les fortifications de l'espace environnant, porté au double de son étendue primitive. Ce fut une entreprise extrêmement coûteuse et d’une magnificence sans égale, comme l’attestent les grands portiques élevés autour du Temple et la citadelle qui le flanqua au nord : les portiques furent reconstruits de fond en comble, la citadelle restaurée avec une somptuosité digne d’un palais royal ; Hérode lui donna le nom d’Antonia, en l’honneur d’Antoine. » La plupart des critiques acceptent la 18ème année du règne d’Hérode (AJ XV,380) comme date de la reconstruction du Temple. La 18ème année de son règne depuis l’an 37 av. JC (l’année où Hérode prend Jérusalem) correspond à l’an 19 av. JC. Plusieurs critiques considèrent que la datation de la 15e année en BJ I,401 était une erreur. (cf. Mahieu, Between Rome and Jerusalem, n. 107, p. 148).

Selon Flavius Josèphe, le Temple dans son ensemble était achevé sous le règne d’Hérode le Grand. En effet, les travaux (les murs d’enceinte, les portiques et l’esplanade) étaient achevés au bout de 8 ans, et Hérode lui-même dirigeait les travaux comme l’indique Josèphe en AJ XV,420 : « Le roi Hérode n’eut accès à aucune de ces dernières parties de l’édifice [les parvis réservés aux Juifs], dont il était exclu parce qu’il n’était pas prêtre. Mais il s’occupa activement des travaux des portiques et des parvis extérieurs et les acheva en huit ans. » La construction du sanctuaire (naos) qui est l’édifice du Temple lui-même, s’achève après un an et six mois : « Le sanctuaire fut bâti par les prêtres en un an et six mois » (AJ XV,421a). L’achèvement de l’ensemble du complexe architectural est suivi par les fêtes : « [421b] Tout le peuple fut rempli de joie pour ce prompt achèvement de l’œuvre et en rendit grâces d’abord à Dieu, ensuite au zèle du roi ; la reconstruction fut célébrée par des fêtes et des bénédictions. [422] Le roi offrit en sacrifice à Dieu trois cents bœufs ; quant aux autres, chacun fit suivant ses propres ressources, et il est impossible de dire le nombre des victimes, car on ne saurait approcher de la vérité. [423] Il arriva en effet que le jour de l’achèvement du Temple coïncida avec l’anniversaire de l’avènement du roi, que l’on célébrait habituellement, et cette coïncidence donna à la fête le plus grand éclat. » (AJ XV,421b-423).

« Comme l’avènement effectif d’Hérode (son occupation de Jérusalem) tombe probablement dans l’été (juillet) 37 av. J.-C., les travaux du Temple auraient commencé d’après cela en janvier 19 av. J.-C. Nous ne savons pas si les 18 mois que dura la construction du Temple proprement dit sont compris dans les 8 ans cités plus haut ou s’y ajoutent » (note 3 de AJ XV,423). Dans cette perspective, la dédicace du Temple de Jérusalem a eu lieu en l’an 12/11 ou 10 av. JC. Si l’on comprend Jn 2,20 dans le sens « Ce sanctuaire a été construit il y a quarante-six ans » à partir de l’an 12/11 av. JC, la première Pâque de Jésus selon Jn 2,13 se situe en l’an 34/35 ap. JC.

Dans cette ligne d’interprétation de Jn 2,20, Mahieu, Between Rome and Jerusalem, 147-165 et 465-468, propose une autre explication des deux dates dont parle Flavius Josèphe : la 18e année (AJ XV,380) et la 15e année (BJ I,401) du règne d’Hérode. Selon Mahieu, Between Rome and Jerusalem, 149, la 18ème année du règne d’Hérode est comptée à partir de l’an 37 av. JC (Hérode capture Jérusalem), elle correspond donc à l’an 20/19 av. JC, c’est l’année où Hérode faisait reconstruire le sanctuaire qui durait un an et six mois (cf. AJ XV,421a). La 15ème année du règne d’Hérode est comptée à partir de l’an 40 av. JC (Hérode est nommé roi par Rome), elle correspond donc à l’an 26/25 av. JC, c’est l’année où Hérode a commencé à construire les murs d’enceinte, l’esplanade et les portiques, ces travaux ont duré 8 ans (cf. AJ XV,420) et ont été achevés donc en l’an 18/17 av. JC. Mahieu, Between Rome and Jerusalem, 468, conclut : « Les deux constructions ont été consacrées le 18 Novembre 18 av. JC. Compter 46 ans à partir de cette date donne la date du 18 Novembre de l’an 29 ap. JC. » (“Both constructions were dedicated on 18 November 18 BC. Counting 46 years from this date yields the date of 18 November 29 AD.”)

Cependant le fait de comprendre Jn 2,20 dans le sens que « Ce sanctuaire a été construit il y a quarante-six ans, et toi, en trois jours tu le relèveras ? », puis de compter 46 ans à partir de la date d’achèvement de la construction du Temple, déforme le sens du texte de Jn 2,20. Cette interprétation ne tient pas compte de la comparaison entre la durée de la construction d’un édifice : « 46 ans » et « 3 jours » en Jn 2,20. De plus, des preuves archéologiques aujourd’hui et l’attestation de Flavius Josèphe lui-même (voir les citations ci-dessous) montrent que le Temple dans son ensemble, reconstruit par Hérode le Grand, n’a pas été complètement terminé durant la mission de Jésus.

(2) La deuxième interprétation de Jn 2,20 est « Ce sanctuaire a été construit depuis quarante-six ans », c’est-à-dire qu’au moment où parlaient les Juifs, la reconstruction du Temple n’était pas encore achevée. En effet, selon Flavius Josèphe, quand Albinus était procurateur en Judée (AJ XX,197), la construction du Temple était achevée vers l’an 62-64 ap. JC : « À ce moment le Temple était achevé. Le peuple voyait donc que les ouvriers, au nombre de plus de dix-huit mille, chômaient et avaient besoin de salaires, parce qu’ils se procuraient jusque-là de quoi vivre en travaillant au sanctuaire… » (AJ XX,219).

Quant aux fouilles archéologiques récentes,  Bahat, « Jesus and the Herodian Temple », 300, écrit : « La fouille effectuée le long du mur ouest de l’enceinte du Temple montre que Hérode le Grand n’a pas mené la construction de ses murs de soutènement à sa fin. [...]. Selon Jn 2,20, il a fallu quarante-six ans pour construire le Temple. Sa référence devrait être donc d’environ 26 ap. JC, lorsque les travaux n’étaient pas encore terminés. Il n’existe aucune façon de prouver que le Temple lui-même n’a jamais été fini, mais les travaux sur le Mont du Temple n’ont pas été menés à leur terme, comme on le voit à l’extrémité nord du Mur occidental (dans les tunnels). » (“The excavations carried out along the Western Wall of the Temple’s precinct show that Herod the Great did not bring the construction of its retaining walls to an end. […]. According to Jn 2:20, it took forty-six years to build the Temple. His reference, then, should be to about 26 c.e., when works had not yet terminated. There is no way to prove that the Temple itself was never finished, but the works on the temple Mount definitely were not accomplished, as may be seen on the northern end of the Western Wall (in the Tunnels).”)

Auparavant, en paraphrasant Jn 2,20, Jeremias, Jérusalem, 39, a compris que le chiffre 46 ans renvoie à la construction en cours : « “Voilà quarante-six ans que l’on travaille à ce Temple et toi, tu veux le relever en trois jours !” disent des Juifs à Jésus (Jn 2,20), aux alentours de l’an 27. À cette date, le travail n’était pas encore achevé. Hérode avait commencé les nouvelles constructions en 20-19 avant notre ère. C’est seulement en 62-64 ap. J.C., au temps du gouverneur Albinus [Ant. XX 9, 7, § 219], que le Temple fut définitivement terminé. »

Comme nous l’avons présenté plus haut, le texte grec de Jn 2,20 reste ouvert, il ne dit pas que le sanctuaire dans son ensemble a été fini ou pas encore terminé. Selon les données d’archéologie et de Flavius Josèphe, l’interprétation de Jn 2,20 : « Ce sanctuaire a été construit depuis quarante-six ans » correspond mieux au contexte de l’évangile et à la situation historique. On peut comprendre que les travaux de l’ensemble du complexe architectural du Temple de Jérusalem continuent après la fête de dédicace (AJ XV,420-423) et se prolongent jusqu’à l’an 64 ap. JC. Même après cette date, Flavius Josèphe (BJ V,36) parle d’un projet de rehausser le bâtiment du Temple de 20 coudées (d’environ 9 m). Jeremias, Jérusalem, 39, écrit à ce projet : « Peu de temps après l’achèvement des nouvelles constructions [64 ap. JC] et encore avant le début de la révolte de 66, on décida à nouveau des travaux, peut-être par sollicitude sociale pour les ouvriers du Temple en chômage. Le bâtiment du Sanctuaire devait être pourvu de nouveaux soubassements et surélevé de 20 coudées. Le bois de construction avait déjà été amené du Liban et préparé [BJ V,36] quand, en 66, la révolte éclata contre les Romains. »

(3) La troisième interprétation du chiffre 46 par saint Augustin n’est pas historique mais symbolique. Elle se base sur les valeurs numériques des quatre lettres du mot grec « Adam » : a (alpha) = 1, d (delta) = 4 et m (mu) = 40. Selon les principes de la gématrie, le chiffre 46 correspondrait à « Adam » comme l’explique saint Augustin dans son homélie sur l’évangile de Jean, Œuvres, v.71, 579 : « Dans le nom Adam vous trouverez le Temple construit en quarante-six ans. Le nom d’Adam se compose en effet de l’alpha, qui vaut un, du delta, qui vaut quatre, ce qui fait cinq, d’un autre alpha, qui vaut un, ce qui fait six et enfin du mu, qui vaut quarante ; tu obtiens ainsi quarante-six. »

Saint Augustin a fait un rapprochement entre le chiffre 46 (=Adam) et les 3 jours dans Œuvres, v.71, 579 et 581 (p. 580 est en latin) : « Parce que notre Seigneur Jésus-Christ a reçu son corps d’Adam, d’Adam pourtant il n’a pas contracté le péché : il a pris de lui le Temple de son corps, mais non l’iniquité qui doit être chassé du Temple. Cette chair même qu’il tira d’Adam, car Marie descendait d’Adam et la chair du Seigneur vient de Marie, les Juifs l’ont crucifiée, mais lui devait ressusciter en trois jours cette même chair qu’ils devraient faire mourir sur la croix ; eux détruisent le Temple construit en 46 ans, et lui le ressuscita en trois jours. »

Dans cette interprétation symbolique, le chiffre 46 (Adam) figure la chair de Jésus. Les Juifs l’ont mis à mort, ils le détruisent mais en trois jours, Jésus relèvera ce sanctuaire de son corps. Cependant, ce n’est pas Jésus ou le narrateur qui parle de 46 ans mais ce sont les Juifs qui veulent comparer ironiquement la durée du temps de construction : « 46 ans » et « 3 jours ». Il n’y a pas d’élément dans le contexte de la péricope 2,13-22 qui permette de faire le lien entre le chiffre 46 et le nom « Adam ».

     4. Le malentendu et l’explication (2,20-21)

L’ensemble des vv. 19-21 est un procédé littéraire typique de l’évangile de Jean : le malentendu et l’ironie. Nous l’avons rencontré dans la péricope précédente 2,1-12 (voir l’article « L’eau devenue bon vin à Cana »). Ce procédé littéraire commence par une parole de Jésus qui peut se comprendre de deux sens différents (2,19), puis les interlocuteurs l’interprètent dans le mauvais sens (2,20), enfin, dans les autres cas, le malentendu donne à Jésus l’occasion de développer son enseignement (par exemple 3,2-8 ; 4,7-15 etc.). Seulement ici, en 2,21, c’est le narrateur qui donne le véritable sens de la parole de Jésus : « celui-ci parlait du sanctuaire de son corps » (2,21).

Le malentendu des Juifs en 2,20 est ironique, puisqu’ils se moquent de Jésus en comparant les chiffres « 46 ans » et « 3 jours », mais en réalité ils ne comprennent pas ce que Jésus a dit. Pour la première fois dans l’évangile de Jean, le groupe de personnages « Les Juifs » entre en dialogue avec Jésus dans une attitude de renfermement sur eux-mêmes. Ils interprètent la parole de Jésus selon leur vision. Leur première rencontre avec Jésus est leur premier malentendu, première mauvaise interprétation de sa parole. Cette incompréhension de la part des Juifs va se poursuivre tout au long de l’évangile à travers des débats, des controverses, des confrontations. Avec les Pharisiens et les grands prêtres, les Juifs se positionnent comme adversaires de Jésus. Ce sont ces groupes d’autorité juive qui décident de faire mourir Jésus (5,18 ; 11,53), c’est ainsi qu’ils détruisent le sanctuaire du corps dont Jésus leur a parlé en 2,19.

Le texte met en relief l’expression « relever en trois jours », une fois dans la bouche de Jésus : « en trois jours je le relèverai » (2,19c) et une fois dans la parole des Juifs : « et toi, en trois jours tu le relèveras ? » (2,20c) Jésus n’utilise pas le verbe « rebâtir » mais celui de « relever » qui a aussi le sens de « ressusciter » (cf. 2,22a). Avec ces deux indices littéraires « en trois jours » et le verbe « relever » le lecteur reconnaît le sens de la parole de Jésus sur « détruire » et « relever », « ce sanctuaire ». Dans son contexte, l’explication du narrateur en 2,22 : « Mais celui-ci parlait du sanctuaire de son corps » joue sur une double précision, d’abord, elle confirme que les Juifs ont mal compris la parole de Jésus, ensuite, elle dissipe l’ambiguïté dans la parole de Jésus en 2,19. Le sanctuaire dont parle Jésus en 2,19 est son corps et non pas le sanctuaire en pierre. En même temps, le parallèle entre « le sanctuaire de pierre » (le symbole de la présence de Dieu avec son peuple) et « le sanctuaire du corps » de Jésus est très fort. C’est l’une des plus grandes choses que Jésus a promis de montrer aux disciples (1,50) : Jésus en sa personne devient le lieu de la Présence de Dieu, le lieu de la rencontre entre Dieu et les hommes (voir l’interprétation de 1,51 dans l’article : « Jn 1,35-51 : Les premier disciples de Jésus » du 21 Août 2015).

En bref, en 2,19-21 le narrateur guide le lecteur dans la compréhension du texte par un triple procédé littéraire : (1) Une parole révélatrice de Jésus à double sens, (2) le malentendu des personnages dans le texte (les Juifs en 2,20) qui avertit le lecteur de ne pas avancer dans cette direction-là, (3) une explication (2,21) qui donne le sens véritable de la parole de Jésus. C’est ainsi que tout le récit est au service du lecteur. L’anamnèse des disciples à la fin de la péricope 2,13-22 en fait partie.

     5. « Ses disciples se rappelèrent que… » (2,22)

Comme nous l’avons montré dans la structure de 2,13-22, les deux souvenirs des disciples en 2,17.22 sont en parallèle, l’un immédiat (C. 2,17) et l’autre après la résurrection de Jésus (C’. 2,22). En tant que témoins des gestes et de la parole de Jésus en 2,15-16, les disciples entrevoient le destin tragique de Jésus (2,17), et en tant que témoins de sa mort-résurrection, les disciples parviennent à croire à l’Écriture et à sa parole (2,22).

En quelle parole de l’Écriture et en quelle parole de Jésus les disciples croient-ils en 2,22 ? Il y une double allusion à l’Écriture et à la parole de Jésus : l’une renvoie à l’ensemble de l’évangile et l’autre se trouve dans la péricope 2,13-22. En effet, l’anamnèse des disciples en 2,22 se situe après la résurrection de Jésus : il s’agit d’un souvenir qui recouvre l’ensemble de références à l’Écriture et aux paroles de Jésus dans l’évangile. Le contenu de la foi des disciples après Pâques est l’ensemble de la révélation rapportée dans l’évangile. En même temps, cette foi postpascale des disciples est placée à la fin de la péricope 2,13-22. Dans le contexte immédiat de 2,22, l’Écriture renvoie à Jn 2,17 // Ps 69,10a et la parole de Jésus se réfère à celle de 2,19. En fait, cette parole de l’Écriture et les paroles de Jésus résument toute sa mission. D’une part, le zèle de Jésus va le dévorer, le consumer (2,17), et d’autre part, la prophétie de Jésus aux Juifs : « Détruisez ce sanctuaire » (2,19a) va se réaliser à la fin de sa mission. Les autorités juives ont décidé de tuer Jésus et ils ont réussi à détruire le sanctuaire de son corps et « en trois jours » (2,19b) Jésus a été relevé d’entre les morts.

Pour le lecteur postpascal, l’acte de mémoire des disciples en 2,22 révèle la signification de la péricope 2,13-22 et l’ensemble de la mission de Jésus. La révélation de Jésus avant Pâques atteint son véritable sens après Pâques. C’est-à-dire que la mémoire postpascale permet de saisir le sens de ses actions et de ses paroles. Dans cette perspective, à travers l’anamnèse des disciples, le narrateur donne au lecteur la clé de la lecture du texte : l’anamnèse conduit à croire à l’Écriture et à la parole de Jésus. Ces deux aspects de la foi des disciples se basent sur le « croire en Jésus » que le narrateur a mentionné à la fin de la péricope précédente en 2,11b : « Il [Jésus] manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui. » Ce « croire en Jésus » est indispensable pour comprendre les actes et les paroles de Jésus. À la foi du début grandie au cours de la mission de Jésus, les disciples parviennent à la plénitude de la foi après sa mort-résurrection. Cette foi postpascale est accessible au lecteur après Pâques, celui-ci est invité à agir comme les disciples.

En effet, dans trois péricopes successives (1,35-51 ; 2,1-12 ; 2,13-22), le narrateur a défini avec soin le parcours du disciple grâce à une série de verbes : écouter le témoignage sur Jésus (1,36-37a), puis le suivre, le chercher et demeurer avec lui (1,37b-39). Ainsi les disciples sont avec Jésus à la noce de Cana (2,1-12) et au Temple de Jérusalem (2,13-22), ils sont les témoins des gestes et des paroles de Jésus. Le lecteur est invité à suivre l’itinéraire des disciples, à suivre le guide du narrateur à travers son récit, à continuer la lecture dans la péricope suivante « Jésus et Nicodème » pour découvrir davantage Jésus, le protagoniste du récit.

VII. Conclusion

La péricope 2,13-22 a une place particulière dans l’ensemble de l’évangile de Jean. Il s’agit de la première apparition de Jésus en public, sa première montée à Jérusalem à l’occasion de la fête de Pâque (2,13), et en particulier la scène se passe sur l’esplanade du Temple de Jérusalem. Jésus est au cœur d’un complexe architectural grandiose : au centre se trouve le Temple proprement dit, de 45 m de hauteur (100 coudées) entouré par les parvis, une esplanade d’environ 144 mille mètres carrés et les portiques autour des murs d’enceinte. C’est au cœur de la vie d’Israël, à la maison du Seigneur que Jésus commence sa mission par des gestes et des paroles révélatrices. La péricope « Jésus et le Temple de Jésus » (2,13-22) peut se résumer en quatre points :

(1) En chassant les vendeurs et les changeurs du Temple, Jésus ne met pas en cause le culte sacrificiel mais il établit une vraie relation avec Dieu. Il agit contre tous les facteurs qui transforment « la maison de son Père » en « maison de commerce ». Cette mise en garde d’une dégradation de la qualité de relation avec Dieu vaut pour tous les lieux de culte juifs ou chrétiens. Le geste symbolique de Jésus prépare donc le peuple d’Israël à accueillir la volonté de Dieu que Jésus va révéler au cours de sa mission.

(2) À travers ses gestes et ses paroles, Jésus révèle son identité. Il est le Fils de Dieu qui est son Père. C’est la première fois dans l’évangile que Jésus appelle le « Dieu d’Israël » son Père, il se situe donc comme Fils. De plus, il va plus loin en désignant le Temple de Jérusalem dans son ensemble : « la maison de mon Père ». Ainsi, Jésus est chez lui, il est l’envoyé de son Père et il fait sa volonté. Tout au long de sa mission, Jésus agit comme Fils et en communion parfaite avec son Père.

(3) Ce qui se passe ici (2,13-22) dans la maison de son Père dessine le trajet de l’ensemble de la mission de Jésus. Il est venu pour établir une relation authentique entre l’homme et Dieu. Son destin est annoncé dans l’Écriture (2,17// Ps 69,10). Son zèle pour la maison de son Père, pour la mission confiée par son Père le dévorera, lui coûtera la vie. Dans sa réponse à la question des Juifs (2,19), Jésus annonce déjà le conflit avec ses adversaires au cours de sa mission. Ce conflit avec les autorités juives le conduit à la mort. Ainsi la péricope 2,13-22 joue un rôle programmatique. Jésus inaugure sa mission en annonçant sa mort-résurrection à la fin de l’évangile. La première Pâque de Jésus (2,13) à Jérusalem renvoie à sa dernière Pâque (11,54), celle de sa mort-résurrection.

(4) Le double souvenir des disciples en 2,17 (immédiat) et en 2,22 (après Pâques) joue le double rôle vis-à-vis du lecteur. D’abord il est la clé interprétative de la péricope. En particulier l’anamnèse postpascale renvoie à la situation du lecteur ; ce dernier peut se souvenant des actes et des parole de Jésus dans l’ensemble de sa mission pour saisir le véritable sens d’une péricope de l’évangile. Ensuite la foi des disciples se présente comme le résultat d’une relecture de la révélation de Jésus. Le lecteur est invité à faire le même parcours que les disciples. C’est en relisant, en se rappelant sans cesse les actions et les paroles de Jésus racontées dans l’évangile que le lecteur peut parvenir à « croire en Jésus » (2,11c), « croire à l’Écriture », « croire à sa parole » (2,22c) et à approfondir sa foi au fil de la lecture./.

Source: http://leminhthongtinmunggioan.blogspot.co.il/2015/10/jn-213-22-jesus-et-le-temple-de.html

    Bibliographie
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