01/11/2017

Jn 8,31-47 : L’incapacité d’entendre la parole de Jésus



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Le 1 novembre 2017

Contenu

I. Introduction
II. La raison de l’incapacité d’entendre la parole
     1. La structure de la péricope 8,31-59
     2. Demeurer dans la parole pour être libre (8,31-36)
          a) « Si vous demeurez dans ma parole » (8,31b)
          b) La liberté et l’esclavage (8,32-36)
     3. Entendre la parole de qui ? (8,37-47)
          a) « Mon Père » et « votre père » (8,37-43)
          b) Le père des Juifs et l’appartenance (8,43-47)
III. « Les Juifs » et l’incapacité d’entendre la parole
     1. L’appellation « les Juifs »
     2. Plusieurs niveaux d’interprétation
     3. L’incapacité d’entendre est-elle définitive ?
IV. Conclusion
      Bibliographie
      Les articles liés à « voir » et « entendre »



I. Introduction

Dans les articles précédents, nous avons fait une observation sur les thèmes « voir » et « entendre » dans l’Évangile et étudié certains thèmes : voir Jésus et voir le Père ; le témoignage oculaire et auriculaire ; l’ambiguïté des signes et des paroles, etc. (cf. la liste des études à la fin de cet article). En lisant la parole que Jésus dit aux Juifs en 8,43 : « Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage ? C’est que vous ne pouvez pas entendre ma parole », nous sommes à la recherche, d’abord, de la raison de cette incapacité d’entendre la parole ; ensuite nous essayons de définir l’identité du personnage « les Juifs » en lien avec cette incapacité. Ce que Jésus dit aux Juifs en 8,43 est aussi adressé au lecteur. Ce dernier peut se retrouver dans la même situation de ces Juifs. Cette étude aide donc à se sortir d’une telle situation pour pouvoir entendre la parole de Jésus.

II. La raison de l’incapacité d’entendre la parole

La discussion entre Jésus et les autorités juives est notable en Jn 7–8. Ces deux chapitres forment un tout : au début, Jésus monte au Temple pour enseigner (7,14), et à la fin il sort du Temple (8,59). Le récit de la femme adultère en 7,53–8,11 a sa place dans l’Évangile, mais cette péricope est une insertion qui interrompt la controverse. L’expression « à nouveau » en 8,12 marque une rupture avec ce qui précède. La section 8,12-59 se divise en trois péricopes : 8,12-20 ; 8,21-30 et 8,31-59. Les coupures entre elles sont en 8,20-21 et 8,30-31. En effet, le verset 20 conclut ce qui vient de se dire : « Il [Jésus] prononça ces paroles au Trésor, alors qu’il enseignait dans le Temple. Personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était pas encore venue », relate le narrateur. Le verset 21a s’ouvre à la suite : « Jésus leur dit encore :… » De même, le narrateur note en 8,30 : « Comme il [Jésus] disait cela, beaucoup crurent en lui. » Un nouveau développement se trouve en 8,31a : « Jésus dit alors aux Juifs qui l’avaient cru :… » Dans cette partie, nous traitons d’abord (1) « la structure de la péricope 8,31-59 », ensuite (2) « demeurer dans la parole pour être libre (8,31-36) », et enfin (3) « entendre la parole de qui ? (8,37-47)

     1. La structure de la péricope 8,31-59

La péricope 8,31-59 est marquée par le champ sémantique de l’audition et d’action avec les verbes : « dire » (legô) en 8,31.33.34.39a.39b.41.42.45.46 etc. ; « parler » (laleô) en 8,38.40.44a.44b ; « entendre » (akouô) en 8,38.40.43.47a.47b et « faire » (poieô) en 8,34.38.39.40.41.44.53. Cette péricope se structure en trois unités littéraires comme suit :

  
La première sous-unité 8,31-32 est une invitation de Jésus à demeurer dans sa parole (8,31b) pour devenir son vrai disciple (8,31c) et être libéré par la vérité (8,32). La deuxième sous-unité 8,33-36 est une explication sur la liberté et l’esclavage. Jésus se présente comme le libérateur par excellence en 8,36 : « Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. » Dans la deuxième unité 8,37-47 la discussion se déroule sur le malentendu des Juifs sur leur père qui est n’est ni Abraham (8,37-41a), ni Dieu (8,41b-42). Jésus explique l’incapacité d’entendre des Juifs et il dévoile que le père des Juifs est le diable (cf. 8,44a). Dans La troisième unité 8,48-59, les Juifs accuse Jésus d’être un samaritain (8,48a) et un démon (8,48b.52a). Et pourtant, Jésus les invite en 8,51 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » La controverse continue par la suite et atteint le point culminant par l’autorévélation de Jésus sur son identité en 8,58 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham existât, Moi, Je Suis. » Le récit se termine dans la violence exprimée par les Juifs : « Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se déroba et sortit du Temple » (8,59), raconte le narrateur. Malgré l’intensification de la controverse et de l’hostilité des Juifs, Jésus continue à révéler son identité et invite ces derniers à croire en lui.


Dans l’unité littéraire 8,31-36, nous examinons (a) l’invitation de Jésus en 8,31b : « Si vous demeurez dans ma parole » (8,31b) et (2) la liberté et l’esclavage (8,32-36).

          a) « Si vous demeurez dans ma parole » (8,31b)

L’expression « demeurer dans ma parole » en 8,31a, littéralement : « demeurer dans la parole qui est la mienne (i logôii emôi) ». Dans le quatrième Évangile, le verbe « demeurer » (menô) signifie, au sens propre, de rester dans un lieu, dans l’espace et le temps (1,39), habiter (8,35), ou rester dans un état (12,24). En s’appuyant sur ce sens premier, le verbe « demeurer » a une portée théologique. Il désigne une habitation réciproque, soit entre le Père et le Fils (14,10b), soit entre Jésus et ses disciples (15,4a.7a).

Dans l’unité 8,31-36, il y a deux expressions avec le verbe demeurer : demeurer dans la parole (8,31b) et demeurer dans la maison (8,35). Dans le verset 8,35, la dimension temporelle (à jamais) est mis en relief, Jésus dit aux Juifs : « Or l’esclave ne demeure pas à jamais (eis ton aiôna) dans la maison, le fils y demeure à jamais (eis ton aiôna). » L’utilisation de l’expression « à jamais » (eis ton aiôna) et le terme « fils » (huios) fait que cette parole possède un sens théologique. En effet, d’une part, l’expression « eis ton aiôna » revient en 8,51 quand Jésus dit aux Juifs : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais (eis ton aiôna) la mort. » ; et d’autre part, le titre « fils » désigne Jésus quand il leur dit en 8,36 : « Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. » L’expression « demeurer dans la maison » prend donc une dimension christologique : Jésus est le Fils qui demeure pour toujours dans la maison de son Père. Cette maison est le lieu métaphorique de la communion. Quant à l’expression « demeurer dans la parole » (8,31b), la parole est l’objet du verbe. Cette expression comporte une dimension temporelle : le temps est indispensable dans la communication par la parole. Le verbe « demeurer » ici implique donc l’idée de la durée dans l’espace et le temps.

L’état de vrai disciple dépend de demeurer ou non dans la parole de Jésus ; de même l’état de fils dépend de demeurer pour toujours ou non dans la maison. La parole de Jésus devient donc un lieu pour habiter, demeurer et vivre. Comme dans une maison, on est enveloppé par l’espace, pareillement, c’est dans la parole que l’on existe et respire. Autrement dit, la parole de Jésus donne sens à notre existence. Demeurer dans la parole de Jésus est un état de vie qui implique un approfondissement continu et une intériorisation de son enseignement. Le rapport entre « le vrai disciple » et « la parole » est réciproque : le disciple demeure dans la parole de Jésus (cf. 8,31b) et inversement la parole de Jésus demeure en lui. En effet, Jésus dit aux disciples en 15,7 : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et vous l’aurez. » Notons qu’en 8,31b, le terme « la parole » (ho logos) est au singulier tandis qu’en 15,7 le terme « to hèma » qui veut dire aussi « la parole » est au pluriel « ta hèmata » (les paroles). Ces deux termes grecs (ho logos et ta hèmata) sont employés dans l’Évangile pour désigner la révélation et l’enseignement de Jésus, par exemple : sa parole (singulier, ho logos) en 2,22 ; 4,41.50 ; 5,24 ; 6,60, etc. ; et ses paroles (pluriel, ta hèmata) en 3,34 ; 5,47 ; 6,63.68 ; 8,20, etc. Le fait de demeurer dans la parole de Jésus produit des bénéfices considérables : être le vrai disciple de Jésus, comprendre la vérité qui « vous libérera (eleutherôsei) » (cf. 8,31c-32). Avec le « si », dans « si vous demeurez… » (8,31b), la libération proposée par le Fils dépend du libre choix de l’homme. Jésus invite les Juifs et, à travers eux, le lecteur. La possibilité de devenir son vrai disciple est offerte à tous.

          b) La liberté et l’esclavage (8,32-36)

L’unité littéraire 8,31-36 se résume par deux paroles de Jésus adressées aux Juifs : (1) « Si vous demeurez dans ma Parole… » (8,31b) ; (2) « Vous serez réellement des hommes libres » (8,36). Entre ces affirmations, le thème de la descendance et la filiation surgit et il se développe par la suite dans le récit. Les Juifs revendiquent qu’ils sont des hommes libres en disant à Jésus en 8,33 : « Nous sommes la descendance d’Abraham et jamais nous n’avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire : Vous deviendrez libres ? » Ainsi, les Juifs n’ont pas besoin de la libération que Jésus leur propose. Selon eux, ils n’ont jamais été réduits en esclavage (8,33b). Ils croient jouir d’une liberté totale et en permanente du fait de leur descendance d’Abraham. Ils sont des hommes libres de naissance, une fois pour toutes. Par ce raisonnement, ils excluent ceux qui ne sont pas de la descendance généalogique d’Abraham.

Cependant, selon la réponse de Jésus en 8,34 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave », c’est l’agir (commettre le péché) qui rend l’homme esclave. Jésus reprend en 8,34-36 la question de la filiation que les Juifs revendiquent en 8,33, mais le contenu de cette filiation (fils ou esclave) tourne au détriment des descendants d’Abraham. En fait, la liberté ne vient pas de leur descendance d’Abraham mais vient de la vérité (8,32b) et du Fils (8,36). Le statut de fils ou d’esclave est mis en rapport avec demeurer à jamais ou non dans la maison. Il y a un glissement entre le couple « libre / esclave » (adjectifs) et « fils / esclave » (noms) en 8,33-36. Jésus définit la filiation non plus comme une appartenance à la descendance d’Abraham mais comme un fils qui demeure à jamais dans la maison, c’est ce fils-là qui nous rend libres (8,36). En 8,32b, la vérité est le sujet du verbe « eleutheroô » (libérer), tandis qu’en 8,36, « le Fils » (ho huios) est le sujet du verbe « eleutheroô » : « Si donc le Fils vous libère (eleutherôsèi), vous serez réellement libres (eleutheroi). » Par l’intermédiaire du verbe « libérer », Jésus se présente comme le Fils et s’identifie à la vérité ; il libère les hommes de l’esclavage du péché.

Le malentendu du côté des Juifs vient du fait que Jésus parle d’une libération par adhésion, par décision, et par choix, tandis que les Juifs parlent d’une liberté issue d’un état, d’une descendance généalogique. Le malentendu continue tout au long de la péricope 8,31-59, comme une procédure littéraire, laquelle permet à Jésus de révéler son identité et d’expliquer pourquoi les Juifs sont incapables d’entendre sa parole.

     3. Entendre la parole de qui ? (8,37-47)

Le thème de l’incapacité d’entendre la parole de Jésus se concentre dans l’unité littéraire 8,37-47. Malgré le malentendu des Juifs, la révélation progresse. L’idée d’une incapacité d’entendre revient trois fois dans l’unité 8,37-47 : d’abord Jésus dit aux Juifs en 8,37c : « Ma parole ne pénètre pas en vous » ; ensuite en 8,43b : « Vous ne pouvez pas entendre ma parole » ; et enfin, Jésus leur explique en 8,47b : « Si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu. » Ainsi, le verset 43, se trouvant au milieu de l’unité 8,37-47, joue le rôle de transition : ce verset conclut ce qui précède (8,37-42) et introduit ce qui suit (8,44-47). Nous traitons deux points dans cette unité littéraire : (a) « Mon Père » et « votre père » (8,37-43) ; (b) le père des Juifs et l’appartenance (8,43-47).

          a) « Mon Père » et « votre père » (8,37-43)

La sous-unité littéraire 8,37-42 se structure en parallèle : A, B, C – A’, B’, C’ et se conclut par le verset de transition en 8,43. Les idées parallèles sont mises en couleur dans le tableau suivant :


La structure de la sous-unité littéraire 8,37-43 permet de préciser pourquoi les Juifs sont incapables d’entendre la parole de Jésus. En effet, le parallèle A et A’ concerne d’abord deux expressions identiques : « vous cherchez à me tuer » (zèteite me apokteinai) en 8,37b.40a. Ensuite, Jésus distingue son Père du père des Juifs, en 8,38 et en 8,40b-41a. Ces parallèles montrent que Jésus dit la vérité qu’il a vue et entendue auprès son Père, Dieu, tandis que les Juifs font les œuvres de leur père. Il y a une distinction, d’une part, entre le « dire » de Jésus et le « faire » des Juifs, et d’autre part, entre le Père et Jésus et le père des Juifs. Les Juifs font ce qu’ils ont entendu chez le père (8,38b) et ils font les œuvres de leur père (8,41a). Le parallèle B et B’ présente la revendication des Juifs : (B) « Notre père, c’est Abraham » (8,39a) et (B’) « Nous n’avons qu’un seul Père : Dieu » (8,41c). Ces deux paternités sont réfutées par Jésus, dans le parallèle C et C’. Les Juifs n’ont ni Abraham (8,39b), ni Dieu (8,42) pour père.

En 8,37-42, il y a trois figures dominantes : le père, Abraham et Dieu. En 8,38 Jésus parle de deux pères, mais il ne précise pas encore qui est son Père et qui est le père des Juifs. Les Juifs se doutent que Jésus ne désigne pas le même père en 8,38 ; ils revendiquent la paternité d’Abraham en 8,39a : « Notre père, c’est Abraham. » La réponse de Jésus se fait en deux temps : d’abord, il réfute la réclamation des Juifs : ils ne sont plus les enfants d’Abraham parce qu’ils ne font pas les œuvres d’Abraham (cf. 8,39-40). Notons qu’en 8,37a, Jésus reconnaît que les Juifs sont les descendants d’Abraham. Mais ils ne sont pas dignes d’être des enfants d’Abraham parce qu’ils cherchent à faire mourir Jésus (cf. 8,40a). Ensuite, Jésus parle de nouveau de leur père en 8,41a : « Vous faites les œuvres de votre père. » Les Juifs comprennent que l’expression « votre père » ici ne désigne plus Abraham. Si ce n’est pas ce dernier, qui est-il ?

Dès 8,33, les Juifs gardent toujours l’idée d’une appartenance acquise une fois pour toutes. En 8,41b, ils s’appuient sur leur descendance d’Abraham pour revendiquer leur appartenance à Dieu : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution ; nous n’avons qu’un seul Père : Dieu. » Le problème est que leur raisonnement est dissocié de leur intention. Ils n’arrivent pas à articuler ce qu’ils disent et ce qu’ils sont en train de faire. De nouveau, Jésus souligne leur incohérence : « Si Dieu était votre père, vous m’auriez aimé » (8,42a). Ce qui prouve la paternité de Dieu, c’est l’amour pour Jésus puisque avoir Dieu pour Père et aimer Jésus, son Fils, vont ensemble. L’intention meurtrière ne consiste pas seulement à manquer d’amour mais aussi à rejeter l’envoyé de Dieu. « Ne pas aimer Jésus » implique donc une autre appartenance qu’à Dieu et fait perdre la capacité d’entendre sa parole.

En résumé, le rapport entre les deux verbes : « faire » et « entendre » dans la sous-unité 8,37-43 est crucial. Il ne s’agit pas d’une discussion doctrinale ou théorique, mais d’une révélation sur le lien entre agir et la capacité d’entendre. Dans ce contexte, l’action des Juifs : « chercher à tuer Jésus » est incompatible avec « entendre sa parole ». L’hostilité des Juifs résulte de deux graves conséquences : (1) leur père n’est ni Abraham, ni Dieu ; (2) ils ne comprennent pas le langage de Jésus et ne peuvent pas entendre sa parole (8,43). Dans la sous-unité suivante 8,43-47, Jésus identifie le père des Juifs.

          b) Le père des Juifs et l’appartenance (8,43-47)

La sous-unité 8,43-47 répond à trois questions qui sont restées dans l’ombre jusqu’en 8,43 : (1) qui est le père des Juifs (cf. 8,38b.41a) ? (2) Quelles sont les œuvres de leur père (cf. 8,41a) ? (3) Qu’est-ce qu’ils ont entendu auprès du père (cf. 8,38b) ? Les réponses sont introduites par le verset de transition (8,43), pour aboutir à une explication claire et nette en 8,47 : « Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; si vous n’entendez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu », dit Jésus aux Juifs. Le passage 8,43-47 se structure en chiasme A, B, C – C’, B’, A’ comme suit :


En 8,44, Jésus dévoile l’identité du père des Juifs (le diable), ses actions : « faire » (faire mourir l’homme) et « dire » (le mensonge). En effet, Jésus leur dit en 8,44a : « Vous êtes du diable, votre père (humeis ek tou patros tou diabolou este) ». Le mensonge est le caractère propre du diable ; ses paroles ne sont que mensonges. Les Juifs se trompent sur leur père. Ils ne savent pas qu’ils ne sont plus enfants d’Abraham et qu’ils ont cessé d’être de Dieu. Le mensonge du diable est manifesté dans le fait que les juifs ne savent pas qu’ils sont en train de réaliser les œuvres de leur père, le diable. Ils croient être libres, que leur père est Abraham et Dieu, mais en en réalité, en cherchant à tuer Jésus ils sont esclaves du péché (cf. 8,34).

La parole de Jésus en 8,44 exprime une appartenance et non une paternité ontologique. C’est le choix « être de » ou « appartenir à » quelqu’un qui est en jeu. En effet, le texte met en parallèle deux appartenances : « être du diable » (8,44a) et « être de Dieu » (8,47a). Le parallèle entre 8,44 et 8,47 montre que l’appartenance à Dieu ou au diable est de l’ordre spirituel et non de la généalogie physique. Cette appartenance au père, le diable n’est pas un déterminisme irréversible. Ce sont les œuvres qu’on est en train de faire qui déterminent la filiation. Si on fait les œuvres de Dieu, on entend la parole de Dieu, si on fait les œuvres du diable, on entend les paroles mensongères du diable. Le comportement hostile des Juifs envers Jésus : chercher à le faire mourir définit leur appartenance au diable et leur incapacité à entendre sa parole. Selon le contexte, l’appartenance dépend de qui on veut entendre. Les Juifs sont incapables d’entendre (akouô) la parole de Jésus (cf. 8,43b), mais ils ne sont pas sourds ; ils entendent bien leur père, le diable, comme Jésus le disent en 8,38b : « Vous, vous faites ce que vous avez entendu (èkousate) auprès de votre père. » Ainsi tout dépend de qui l’on écoute, de quel père on entend.

L’unité 8,37-47 noue un lien entre « écouter la parole de Jésus » et « faire les œuvres ». Dans ce sens, « entendre » n’est plus un simple phénomène d’audition. Les Juifs entendent bien la parole de Jésus, mais ils la gardent pour l’accuser plus tard. En fait, les Juifs entendent ce que Jésus leur dit, mais ils ne les comprennent pas correctement sa parole. Le texte donne ainsi un sens christologique à l’expression « entendre la parole de Jésus ». Seuls ceux qui sont de Dieu, qui aiment Jésus, qui croient en lui, peuvent entendre sa parole. Pour comprendre l’enseignement de Jésus, il est nécessaire d’avoir une certaine disposition intérieure : il faut que l’homme fasse la volonté de Dieu (cf. 7,17) et soit de Dieu pour que la parole de Jésus soit audible et crédible. Être de Dieu renvoie à une dépendance naturelle de Dieu, laquelle se manifeste dans agir. Celui qui mène une vie inspirée par Dieu entend sa parole. Par contre, celui qui vit sous l’influence du diable, ne peut pas entendre la parole de Jésus.

Le texte insiste sur l’opposition mensonge / vérité : il s’agit de dire le mensonge (le diable), et dire la vérité (Jésus). Cependant, le texte ne met pas le diable et Jésus sur le même niveau. L’ensemble de l’Évangile élimine cette ambiguïté. En effet, la puissance du diable dans ce monde est attribuée au « prince de ce monde » qui va être jeté dehors par Jésus (cf. 12,31b). C’est devant ce monde hostile que Jésus révèle aux disciples en 16,33b : « Dans le monde vous aurez à souffrir. Mais gardez courage ! Moi, j’ai bel et bien vaincu le monde. » Jésus se situe comme le vainqueur sur la puissance des ténèbres. Le parallèle entre l’identité du diable : « proférer le mensonge » (8,44e) et celle de Jésus : « dire la vérité » (8,45a) ne met pas Jésus et le diable sur le même plan, mais pour montrer que le véritable adversaire de Jésus est le diable et non les Juifs. Ces derniers sont des victimes, manipulés par le diable. C’est pour cela que Jésus invite les Juifs à demeurer dans sa parole (8,31b) et à la garder (8,51).

En résumé, ce n’est pas entendre la parole de Jésus qui est principal dans l’unité 8,37-47. Le texte présente l’inverse : c’est le « faire » qui est primordial. Le fait que les Juifs font les œuvres de leur père : chercher à faire mourir Jésus, rend sa parole impénétrable. L’incapacité d’écoute des Juifs est la conséquence d’une action, un désir et une appartenance (cf. 8,44). Malgré la menace et l’hostilité des Juifs, l’ensemble de la péricope 8,31-59 possède un ton positif. Le récit souligne deux invitations de Jésus adressées aux Juifs : d’abord en 8,31b-32 : « 31b Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples 32 et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » et ensuite en 8,51 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. » Ces invitations au cœur de la controverse montrent la souveraineté de Jésus. Il ne désespère pas devant l’hostilité des Juifs. Mais qui sont ces Juifs sourds ? Et cette incapacité d’entendre est-elle définitive ?

III. « Les Juifs » et l’incapacité d’entendre la parole

Dans le contexte immédiat, le « vous » en 8,43b : « Vous ne pouvez pas entendre ma parole » renvoie au groupe de personnages appelé « les Juifs » en 8,31. Or, qui sont ces Juifs ? Nous étudions ce personnage, en lien avec l’incapacité d’entendre la parole de Jésus, en trois points : (1) l’appellation « les Juifs », (2) plusieurs niveaux d’interprétation, et (3) cette incapacité est-elle définitive ?  

     1. L’appellation « les Juifs »

Dans la péricope 8,31-59, l’appellation « les Juifs » (hoi Joudaioi), apparue en quatre occurrences (8,31.48.52.57), ne pose pas le problème d’identification. Mais dans l’ensemble de l’Évangile, l’identité de ce groupe est complexe. Nous pouvons relever quelques caractéristiques des Juifs : (a) ils font peur aux autres gens. La foule n’ose pas parler ouvertement par crainte des Juifs (7,13). Les parents de l’aveugle-né ont peur des Juifs (9,22). Les disciples ont verrouillé la porte par peur des Juifs (20,19). (b) L’hostilité des Juifs envers Jésus est manifestée dans les discussions et surtout dans leurs intentions de le faire mourir (cf. 7,1.19.20.25 ; 8,37.40…). (c) Il y a un glissement entre les Juifs et les autres personnages : les Pharisiens, les grands prêtres et même la foule. Pour mieux saisir la caractéristique du personnage « les Juifs » dans le dernier remarque (c), nous présentons le lien entre les Juifs et ces quatre groupes : (1) les Juifs et les Pharisiens ; (2) les Juifs et le groupe : Pharisiens – grands prêtres ; (3) Les Juifs et les grands prêtres ; et (4) les Juifs et la foule.

(1) Premièrement, « les Juifs » et « les Pharisiens ». Dans Jn 7–8, les interlocuteurs de Jésus sont difficiles à identifier : les personnages qui entrent en dialogue avec Jésus sont les Juifs, la foule, les Pharisiens. En effet, Jésus répond aux Juifs en 7,16 qui parlent entre eux en 7,14, puis la foule entre en dialogue avec Jésus en 7,20 comme si les auditeurs de Jésus sont les Juifs et la foule. En 7,25, ce sont « les gens de Jérusalem » qui parlent entre eux en 7,25-27. La foule réapparaît en 7,31. En 7,33 Jésus semble parler à la foule et aux gardes envoyés par les grands prêtres et les Pharisiens pour l’arrêter. Brusquement, les Juifs entrent en scène et posent des questions entre eux, en 7,35-36, comme si les Juifs sont parmi la foule et les gardes. En 7,47-52, il y a échanges de paroles entre les Pharisiens et les gardes (7,47) et aussi avec Nicodème (7,50-52). Dès le ch. 8, la foule disparaît, il ne reste que les Pharisiens (cf. 8,13), puis les Juifs (cf. 8,22) qui dialoguent avec Jésus.

Selon le déroulement du récit, Jésus parle aux Pharisiens en 8,21 mais les Juifs réagissent en 8,22. Ces personnages sont présentés de manière interchangeable. En effet, il y a des indices d’une ressemblance entre les Juifs et les Pharisiens. Par exemple, Jésus utilise le terme « votre Loi » pour parler aux Pharisiens en 8,17 et aux Juifs en 10,34. Ce sont les Juifs (cf. 9,22) et les Pharisiens (cf. 12,42) qui excluent de la synagogue ceux qui confessent la foi en Jésus. Le contexte du ch. 9 donne l’impression que les Pharisiens et les Juifs sont les mêmes (cf. les Pharisiens en 9,13-17.40-41 et les Juifs en 9,18-34). Et pourtant, on ne peut pas identifier les Juifs avec les Pharisiens. Par exemple, les Pharisiens et les grands prêtres (7,32.45 ; 11,47) décident de faire mourir Jésus, ce ne sont pas les Pharisiens seuls. De plus, dans le récit de la Passion (Jn 18–19), le groupe « les Pharisiens » n’interviennent pas, tandis que les Juifs sont actifs. Ces derniers réclament la mort de Jésus en disant à Pilate en 19,7 : « Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. »

(2) Deuxièmement, « les Juifs » et le groupe « Pharisiens – grands prêtres ». C’est l’association des deux groupes : les Pharisiens et les grands prêtres qui ont organisé l’arrestation de Jésus (18,1-11), le narrateur relate en 18,3 : « Judas donc, menant la cohorte et des gardes détachés par les grands prêtres et les Pharisiens, vient là avec des lanternes, des torches et des armes. » Cette association a tenté d’arrêter Jésus en 7,32 : « Les grands prêtres et les Pharisiens envoyèrent alors des gardes pour l’arrêter [Jésus] » (TOB, 2011). L’expression « Les grands prêtres et les Pharisiens » est une variante dans les manuscrits grecs ; la version de la Bible de Jérusalem ne contient pas cette expression en 7,32 : « Ils [les Pharisiens] envoyèrent des gardes pour le saisir » (BiJér, 2000). Nous pensons qu’il vaut mieux traduire comme la TOB, 2011 puisque le narrateur raconte en 7,45 : « Les gardes revinrent donc trouver les grands prêtres et les Pharisiens » (BiJér, 2000).

Il y a des indices d’une ressemblance entre « les Juifs » et « les Pharisiens – les grands prêtres ». En effet, « la cohorte et des gardes » qui sont fournis par les grands prêtres et les Pharisiens en 18,3 deviennent « les gardes des Juifs » en 18,12 : « Alors la cohorte, le tribun et les gardes des Juifs saisirent Jésus et le lièrent », raconte le narrateur. En 11,46-53, les Pharisiens et les grands prêtres réunissent un conseil pour décider de faire périr Jésus. Cependant, le texte rappelle cette décision en parlant « les Juifs » et non les Pharisiens et les grands prêtres en 18,14 : « Or Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : “Il y a intérêt à ce qu’un seul homme meure pour le peuple.” » Il existe donc une certaine identification dans le texte entre « les Juifs » et l’association « Pharisiens – grands prêtres ». Cependant, ces derniers ne sont pas interchangeables. Le groupe des Pharisiens et les grands prêtres ne s’affrontent jamais directement avec Jésus comme les Juifs l’ont fait. La décision des Pharisiens et des grands prêtres de faire mourir Jésus en 11,47-54 est d’ordre politique. Tandis que, pour les Juifs, la raison de « faire mourir Jésus » est religieuse : ils disent à Jésus en 10,33 : « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu. »

(3) Troisièmement « les Juifs » et « les grands prêtres ». Après l’arrestation de Jésus en 18,1-12, l’association « Pharisiens – grands prêtres » disparaît du récit de l’Évangile. C’est le Grand Prêtre qui interroge Jésus en 18,19-24 et c’est le groupe des grands prêtres qui demandent à Pilate de crucifier Jésus. Dans la scène où Jésus est devant Pilate (18,28–19,16a), les Juifs réapparaissent et ils sont presque identiques aux grands prêtres. Dans la péricope Jésus devant Pilate (18,28–19,16a), les accusateurs sont désignés de manière anonyme au début de la péricope : « ils » en 18,28a.30, puis, soit « les Juifs » (18,31b.38b ; 19,7a.12b.14b), soit « les grands prêtres » (19,6a.15b.21a). Dans le contexte, les Juifs et les grands prêtres sont presque interchangeables. Cependant, ils ne sont pas identiques : les grands prêtres, comme un groupe indépendant, ne paraissent que dans le récit de Jésus devant Pilate. Ce groupe ne parle jamais à Jésus dans l’Évangile. Au contraire les Juifs sont mentionnés tout au long du récit : dès 1,19 jusqu’en 20,19. L’identification entre les Juifs et les grands prêtres devient impossible.

(4) Quatrièmement « les Juifs » et « la foule ». Les Juifs apparaissent aussi hors de la Judée. En effet, dans le discours sur le pain de vie (6,35-59) à Capharnaüm, en Galilée, la foule cherche à rencontrer Jésus (6,24b) et dialoguer avec lui en 6,25-40. Brusquement « les Juifs » (mentionnés en 6,41.52) interviennent dans la suite du discours comme si la foule indiquée en 6,22.24 se transformait en Juifs. Pourtant, le déroulement du discours montre qu’il s’agit d’un seul groupe d’auditeurs en 6,25-58 : Jésus discute avec la foule en présence de ses disciples. Ces derniers réagissent après le discours en 6,60-71. En 7,13, la foule n’ose pas exprimer ouvertement son opinion sur Jésus, par peur des Juifs. L’identification entre la foule et les Juifs est peu probable.

En résumé, il est difficile d’identifier « les Juifs johanniques » avec l’un de ces groupes : « les Pharisiens », « les grands prêtres », « Pharisiens – grands prêtres », « la foule ». En même temps, les Juifs ne forment pas un groupe de personnages distincts de ces quatre groupes puisqu’il existe une certaine ressemblance entre les Juifs et les autres groupes. La ressemblance se manifeste au moment où la discussion et la prise de position du refus de croire en Jésus prennent forme. Et pourtant, les Juifs sont bien un groupe de personnages du récit. La complexité d’identifier les Juifs, dans le texte, permet une interprétation à plusieurs niveaux.

     2. Plusieurs niveaux d’interprétation

Une compréhension purement symbolique du groupe « les Juifs » est étrangère à l’Évangile. Il vaut mieux tenir compte de ces deux extrêmes : d’une part, Jésus affirme devant la femme samaritaine en 4,22c : « Le salut vient des Juifs », et d’autre part, Jésus dit aux Juifs en 8,44a : « Vous êtes du diable, votre père. » Ces affirmations renvoient au projet de l’Évangile exprimé dans le Prologue : il s’agit d’accueillir ou de refuser le Verbe (le Logos), cf. 1,10-13. En s’appuyant sur l’ensemble de l’Évangile, « les Juifs » peuvent être interprétés sur trois niveaux :

(1) D’abord, l’appellation « les Juifs » s’enracine dans le sens propre du terme. Jésus est un Juif, les disciples sont des Juifs. Parmi le peuple juif, il y a des Juifs qui croient en Jésus et des Juifs qui le refusent. En effet, c’est un refus absolu lorsque les autorités juives ont demandé à Pilate de crucifier Jésus. C’est pour cela que les Juifs, dans l’Évangile, sont étroitement liés aux Pharisiens et aux grands prêtres qui sont les autorités religieuses de l’époque. Ainsi, les Juifs représentent un certain judaïsme puisque le père des Juifs n’est ni Abraham, ni Dieu (8,39-42). Selon G. Caron, Qui sont les Juifs ?, p. 263-264 : « Sans s’identifier à aucun de ces groupes en particulier [les Pharisiens, les grands prêtres, les grands prêtres et les Pharisiens, la foule] ; les “Juifs” sont néanmoins présentés en chacun d’eux à un moment ou l’autre du parcours narratif. Ils y sont pour ainsi dire à l’œuvre : comme une attitude, un esprit, une religion, disons-le, un type de Judaïsme, que l’on trouve un peu partout, mais qui émerge surtout chez les pharisiens et les grands prêtres du récit. »

(2) Ensuite, l’Évangile présente un contraste entre « croire » et « ne pas croire », entre « les disciples de Jésus » et « les Juifs ». Il s’agit des Juifs par rapport aux chrétiens : « De fait, devenir chrétien c’était cesser d’être Juif ». (A. Marchadour, « les Juifs », p. 42). Le texte prend de la distance avec les Juifs en désignant : « la pâque des Juifs » (2,13 ; 11,15) « la fête des Juifs » (5,1). Celui qui croit en Jésus se distingue des Juifs. Les disciples de Jésus d’origine juive ont peur des Juifs (20,19). L’identification entre les Juifs et les Pharisiens concernant l’exclusion de la synagogue (cf. 9,22 ; 12,42) marque une rupture entre le judaïsme et le christianisme. L’exclusion des chrétiens de la synagogue, par les Juifs, s’est probablement réalisée après la restructuration du judaïsme, par les Pharisiens, à l’assemblée de Yavné, des années quatre-vingt de notre ère. Dans les dix-huit bénédictions juives, l’ajout contre les hérétiques, à la fin du premier siècle, inclut les judéo-chrétiens.

(3) Enfin, l’appellation « Juifs » a une portée symbolique qui déborde le sens premier. En effet, l’Évangile ne considère pas les Juifs comme un groupe distinct. Jésus parle aux Juifs dans le contexte du rapport entre en haut et en bas, entre ce monde ci et un autre monde ; il leur dit en 8,23 : « Vous, c’est d’en bas que vous êtes ; moi, c’est d’en haut que je suis. Vous, c’est de ce monde que vous êtes ; moi, je ne suis pas de ce monde. » Les deux mondes (en haut et en bas) mettent les Juifs devant une perspective universelle. Ils représentent les gens qui ne connaissent pas Dieu (cf. 8,54-55) ni Jésus (cf. 8,14b.19) ; les gens qui s’opposent à la vérité, sont trompés et manipulés par leur père, le diable (cf. 8,44). Ce dernier est appelé « le prince de ce monde » (12,31 ; 14,30 ; 16,11), celui qui est le véritable adversaire de Jésus et ses disciples. Dans cette perspective, « les Juifs » prennent la figure des persécuteurs qui persécutent Jésus, la communauté johannique, ou encore les croyants au cours des siècles. La persécution se manifeste par l’hostilité, le rejet et la haine envers Jésus et ses disciples. Les persécuteurs de tous les temps prennent le relais de ces Juifs johanniques. C’est à ce niveau symbolique que le titre « le Roi des Juifs » dans la péricope 18,28–19,22 (cf. 18,33.39 ; 19,3.19.21a.21b) est une manifestation de la royauté universelle de Jésus. Sa royauté n’est pas de ce monde, mais elle s’exerce dans ce monde en incluant aussi les opposants, ceux qui le sont devenus par méconnaissance et à cause de malentendus.

     3. L’incapacité d’entendre est-elle définitive ?

La filiation au diable des Juifs en 8,44a est-elle définitive ? La parole de Jésus adressée aux Juifs en 8,43b : « Vous ne pouvez pas entendre ma parole » est encadrée par ses deux invitations : demeurer dans sa parole (8,31b) et garder sa parole (8,51a). Cette construction montre que l’invitation est plus importante que l’accusation. L’appartenance au diable est d’ordre spirituel ; elle n’est pas un déterminisme de nature ou une prédestination ontologique. L’ensemble de la péricope 8,31-59 n’est pas pessimiste. Jésus veut que ses interlocuteurs prennent conscience de leurs propres actes et les conséquences qui en résultent. Jésus leur offre donc une chance de devenir ses vrais disciples en demeurant dans sa parole.

Jésus parle deux fois du lien entre « la vérité » et « croire » en 8,45 et 8,46b. La première fois pour montrer pourquoi les Juifs ne croient pas en Jésus ; il leur dit en 8,45 : « Parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. » En fait, les Juifs prêtent l’oreille pour entendre les paroles mensongères de leur père (8,44). La deuxième est une invitation à croire : « Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » (8,46b), dit Jésus. Il s’agit de la vérité que Jésus a entendue auprès de Dieu (8,40b). Croire en Jésus, pour être libéré de toute emprise de l’esclavage du péché et du diable, est toujours une invitation actuelle adressée aux Juifs, et à travers eux, au lecteur et à tout homme.

IV. Conclusion

Nous avons étudié trois unités littéraires : 8,31-36 ; 8,31-43 et 8,44-47 pour comprendre la raison d’une incapacité d’entendre la parole de Jésus. L’invitation de Jésus : demeurer dans sa parole (cf. 8,31b) n’intéresse pas les Juifs puisqu’ils ne comprennent pas sa parole : Jésus parle d’une libération du péché par la foi, les Juifs pensent à un état de liberté par descendance généalogique d’Abraham. En tout cas, l’incapacité d’entendre chez les Juifs résulte de leur acte : chercher à tuer Jésus (cf. 8,37b.40a). Cette action fait qu’Abraham n’est plus leur père, Dieu non plus (cf. 8,39-42) et ils ont le diable pour père et font les œuvres de leur père diable (cf. 8,44a). Cette paternité n’est pas définitive, il s’agit d’un choix de l’appartenance : être du diable ou être de Dieu (cf. 8,47).

Surpris par l’accusation si dure de Jésus contre les Juifs en 8,44, nous avons essayé chercher l’identité de ces Juifs dans l’Évangile. Ce personnage ne constitue pas un groupe indépendant des autres groupes : les Pharisiens, les grands prêtres, l’association Pharisiens – grands prêtres et la foule ; en même temps, on ne peut pas identifier « les Juifs » avec l’un de ces groupes. En général, les Juifs interviennent au moment où il y a hostilité et refus de croire en Jésus. Cette observation permet une interprétation sur plusieurs niveaux. D’abord, les Juifs johanniques prennent racine dans le peuple juif. En particulier, les autorités juives, qui ont décidé de faire mourir Jésus, sont étroitement liées aux « Juifs johanniques ». Ainsi, les Juifs représentent un judaïsme infidèle au Dieu d’Abraham. Ensuite, il s’agit des Juifs qui s’opposent aux Chrétiens. En confessant la foi en Jésus, ces derniers sont exclus de la synagogue. Enfin, l’interprétation symbolique permet de sortir du judaïsme. Les Juifs symbolisent l’hostilité envers Jésus et ses disciples, partout dans le monde ici-bas.

Les Juifs, dans le passage 8,31-47, ne peuvent pas entendre la parole de Jésus (cf. 8,43b) mais ils entendent bien leur père, le diable (cf. 8,38b.44a). L’incapacité d’entendre la parole de Jésus vient donc de l’appartenance au diable. Comment faire pour être de Dieu et pouvoir entendre la parole de Jésus ? Dans l’article suivant, nous continuons à étudier le thème « voir et entendre » en cherchant les conditions pour que l’auditeur et le lecteur parviennent à « voir » Jésus et à l’« entendre » au sens théologique de ces verbes./.


CARON, G., Qui sont les Juifs dans l’évangile de Jean ?, (Recherches 35), Québec, Bellarmin, 1997.
A. Marchadour, « Les Juifs dans l’évangile de Jean » dans CEv 108 (1999) 37-47.
COUSIN, H. (éd.), Le monde où vivait Jésus, Paris, Le Cerf, 1998.
BOISMARD, M.-E., COTHENET, E., La tradition johannique, (Introduction à la Bible, édition nouvelle, t. III : Introduction critique au Nouveau Testament, (A. GEORGE et P. GRELOT, Dir.) vol. IV), Paris, Desclée, 1977, 328 p.

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